Face à un film tel que « L’Œuvre sans auteur », on ne peut qu’être dubitatif. Déjà, même avant d’entrer dans la salle, qui appelle son film « L’Œuvre sans auteur » ? Autant originale que triviale, cette démarche fait d’emblée grincer des dents, tant elle s’impose de manière parfois affaiblie au sein de ce troisième long-métrage portant la signature de Florian Henckel von Donnersmarck. Biographie de Gerhard Richter (dont l’identité est doublée ici en Kurt Barnett) déguisée en frise chronologique, « L’Œuvre sans auteur » nous fait entrer jusque dans l’intimité de l’histoire allemande, tout en se targuant d’un didactisme à toute épreuve, révélant, derrière le rideau, un cinéaste que l’on pourrait aussi bien distinguer de génie que traiter de petit malin.


Autant le dire d’emblée, « L’Œuvre sans auteur » tient une histoire en or, où se heurtent intimité, mensonges, histoire, faux-semblants, art, et vérité. Accompagné d’un empirisme strident, le film ressemble tant à une fresque académique qu’à une thèse esthétique. On flirte avec le mélodrame politique, le décryptage d’une histoire allemande, tout en passant par l’histoire de l’art, et nombre de pistes réflectives. Diptyque entre l’intime et l’Histoire, « L’Œuvre sans auteur » se targue d’une fluidité exemplaire, nous faisant presque oublier son didactisme oppressif, reflété par un académisme exalté. Sophistiqué, Donnersmarck filme un véritable jeu de société(s), au travers duquel le nazisme, le communisme, et le libéralisme, se donnent la réplique dans un ballet d’illusions au rythme ample. L’ombre de Gerhard Richter plane sur l’ensemble du film, l’artiste ayant refusé que son nom soit associé à l’entreprise. À ce titre, Donnersmarck pose intelligemment la question de la fonction sociale de l’art. Comment incarner l’âme de tout un peuple ? Comment scalper la somme de ses traumatismes ? Qu’elle est la place de l’artiste dans la société, dans l’histoire ?


Au fil des changements de régimes, les problématiques mutent. « L’Œuvre sans auteur » ressemble déjà, ainsi, à un cas d’école, car c’est là un film fondamentalement théorique. Au moment où sa tante se fait enlever par les nazis, le jeune Kurt Barnett voile son regard de sa main ; un geste étrangement cadré en vue subjective soulevant d’emblée la question du regard, du changement de perspective, et de ce masque que l’artiste pose sur la réalité qui l’entoure. Au fur à mesure qu’il perce son identité au travers de son art, Kurt Barnett change son regard. Dans une autre séquence, vers la fin du film, un courant d’air fait fermer les volets de son atelier, le nimbant dans l’obscurité, et laissant ainsi éclater les images du projecteur sur la toile du jeune artiste. Soulignant ainsi la manière dont l’environnement tisse lui même sa toile sur notre regard, « L’Œuvre sans auteur » se fait avocat d’un art régénéré. Cependant, il en vient un stade où le scénario du film est si romanesque et sa réalisation si académique, que ce dernier ne tarde pas à sombrer dans la somme de ses aphorismes souvent un peu embarrassants (« tout ce qui est vrai est beau » patati patatazzZzZZz). À ce titre, il est parfaitement compréhensible que Gerhard Richter n’ait pas voulu flatter le film en lui donnant son nom. Mais Donnersmarck a plus d’un tour dans son sac, puisque pour achever son biopic sans sujet, il nous offre un bon coup de… Max Richter. Pompeux, mais d’une malignité, doublée d’une faculté d’adaptation, qui force l’émerveillement.


(à lire aussi sur le blog)

Kiwi-
6
Écrit par

Créée

le 25 juil. 2019

Critique lue 1.6K fois

7 j'aime

1 commentaire

Critique lue 1.6K fois

7
1

D'autres avis sur L'Œuvre sans auteur (Parties 1 & 2)

L'Œuvre sans auteur (Parties 1 & 2)
Nuwanda_dps
9

Ouvrez les yeux, vous les fous !

Ne pas détourner les yeux. C'est un des messages du flm, aux conséquences parfois mortelles, parfois salvatrices. C'est le conseil d'une "folle", alors que la déviance est la plus solide rationalité...

le 24 mars 2019

23 j'aime

1

L'Œuvre sans auteur (Parties 1 & 2)
AnneSchneider
8

Les images brouillées

Compte tenu des errements dans lesquels l’ont entraîné les sirènes états-uniennes, avec son bien piètre deuxième long-métrage, le rocambolesque « The Tourist » (2010), après les succès légitimes de «...

le 28 août 2019

19 j'aime

10

L'Œuvre sans auteur (Parties 1 & 2)
Nolwenn_brd
4

L'oeuvre sans valeur ?

Cherchant à échapper aux chaleurs intenses, je suis allée voir le seul film à l'affiche de mon cinéma à sembler un minimum attrayant. J'en suis ressortie dans un état d'énervement et de colère froide...

le 6 août 2019

9 j'aime

3

Du même critique

Mademoiselle
Kiwi-
9

Édulcorée(s).

Déjà reconnu pour ses incursions dans le domaine du thriller machiavélique diaboliquement érotique, Park Chan-Wook s'aventure avec « Mademoiselle » dans un film de manipulation opulent se déroulant...

le 23 mai 2016

107 j'aime

8

Seul sur Mars
Kiwi-
8

Le Gai savoir.

La semaine où la NASA annonce officiellement avoir trouvé de l’eau sur Mars, Ridley Scott, jadis grand créateur d’atmosphère, sort son nouveau film sur un homme égaré sur la planète rouge après avoir...

le 21 oct. 2015

97 j'aime

4

The Neon Demon
Kiwi-
10

Cadavre exquis.

Devil's dance. Seconde escapade de Nicolas Winding Refn à Los Angeles, « The Neon Demon » s'ouvre sur un long travelling arrière dévoilant le cadavre d'une jeune poupée, dont le regard vide fixe...

le 24 mai 2016

96 j'aime

18