A l'issue de son Odyssée, il est manifeste que le réalisateur Jérôme Salle éprouve la nécessité de sortir les pincettes. Comme pour se dédouaner. Où se défendre des critiques qu'il semble voir venir de loin. Ainsi, il indique tout d'abord que son film n'a aucun rapport avec la Cousteau Society. Puis, dans le générique final, que son travail est basé sur des "faits notablement connus de la biographie" du bonnet rouge le plus célèbre du monde. Salle revendique donc son indépendance et sa (relative) fidélité à ce qu'a vécu le Commandant. Oui. Sauf, que, même pour ceux qui ne connaissent pas en détails la vie de Jacques-Yves Cousteau, ils ressentiront en leur for intérieur que certaines choses clochent.


Mais je vais essayer de rester focalisé sur le film. Car L'Odyssée mérite qu'on parle d'elle en tant qu'oeuvre cinématographique, et pas seulement de la somme toute, relative trahison subodorée d'une biographie qui recèle des zones d'ombres. Car L'Odyssée, finalement, n'est pas à vrai dire un biopic. Non. Elle repose sur le rêve d'un homme dont s'empare plus ou moins bien Jérôme Salle, pour le faire évoluer dans sa vision en même temps que son rêveur.


Les premiers temps de l'oeuvre sont naïfs, rayonnants, baignés d'une joie de vivre simple et vraie, comme les rêves qui apparaissent toujours réalisables malgré la folie du but final. L'heureux temps des débuts, seulement contrariés par l'argent. Mais peu à peu, le rêveur évolue et Cousteau se mue en explorateur des fonds marins, puis en chef d'entreprise, avec la difficulté des salaires à payer à la fin du mois, l'argent à rechercher et les belles histoires à raconter pour l'obtenir.


Si les actions de Jacques-Yves Cousteau sont toutes tournées vers son rêve bleu, Salle fait (un peu) état des compromissions, du carburant gratuit en échange de prospections pour de nouveaux gisements pétroliers. Il livre (par petites touches) l'envers du décors des tournages de l'équipage de la Calypso, des scènes fabriquées, des animaux arrachés à leur milieu naturel. Tout cela, comme si Jérôme Salle filmait sur la pointe des pieds, pour ne pas trop écorner l'image du Commandant. Ou comme s'il était impressionné par l'icône.


En résulte un film non dénué de qualité mais qui semble policé afin de ne pas remettre en cause l'action en faveur de l'écologie de J.Y.C., alors même que l'oeuvre le fait évoluer par à-coups, sans réelle nuance, alors même que sa volonté de protéger l'environnement était bien plus profonde et ancienne que ce qu'on nous laisse à croire, à la faveur de la découverte d'un charnier baleinier en Antarctique. Au point de dépeindre Cousteau comme idéaliste un brin naïf mais surtout égoïste, uniquement tourné vers lui-même. Mais sympathique sous les traits de Lambert Wilson, toujours d'humeur égale, alors même que la réalité des faits penche pour un personnage qui pouvait se montrer bien plus colérique, soupe au lait et méprisant. Même chose pour les relations avec ses enfants, survolées et simplifiées, et dont l'un des deux est, de manière incroyable, carrément viré comme un malpropre de l'écran pour ne ressurgir qu'à la toute fin de L'Odyssée.


Même chose pour la vie privée de l'homme et ses frasques, que le réalisateur ne fait que gommer au maximum afin de faire survivre son couple vedette, alors même que Cousteau bénéficiait d'une autre famille. Mais malgré ses carences biographiques, L'Odyssée survit en ce qu'il propose finalement de représenter un rêve qui se fane peu à peu, avant une prise de conscience salutaire et d'un engagement en faveur de l'environnement dans les dernières années de la vie de Cousteau. Jérôme Salle met aussi en scène un intéressant prolongement du propos via le personnage du fils du Commandant, Philippe, formidable contrepoint à son père à qui il ressemble bien plus qu'il ne le souhaiterait dans les rêves qu'il porte.


L'Odyssée est aussi l'occasion, pour Jérôme Salle, de mettre en scène quelques superbes scènes sous-marines enchanteresses traduisant à merveille les rêves de découverte et de préservation tardive de Cousteau, personnage qui aurait gagné bien plus à être vu par les yeux de son fils plutôt que par cette caméra neutre tentant de constamment lisser le portrait de l'icône qu'il livre.


En l'état, Jérôme Salle livre avec cette Odyssée un film imparfait, nonchalant et consensuel, mais étrangement, non dénué d'intérêt, tant sur l'engagement du bonhomme que sur ce qu'aurait pu être l'oeuvre si elle avait exploré quelques zones d'ombres. Et porté un tout autre éclairage sur le Commandant Cousteau qui ici, évolue en surface, et non, malheureusement, là où le bleu, en devenant plus sombre, devient aussi plus profond et plus dense.


Dommage.


Behind_the_Mask, qui plonge en eaux troubles.

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le 16 oct. 2016

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