Un spoiler s'est glissé ici, mais l'Inquisition Espagnole l'a trouvé et enfermé dans une balise spoiler pour vous en préserver si vous le souhaitez.
Mais comment note-t-on un film pareil ? Comment garder la tête froide quand on a l'impression de regarder un truc dont l'existence a été interdite par une armée de puissances cosmiques ? Et surtout comment faire la part des choses entre ce que l'on adore chez Terry Gilliam et ce qui nous exaspère chez lui ? Ce film les combine et nous rappelle par alternance combien le Monty Python sait donner naissance aux rêveries, mais aussi combien il peut lui arriver de faire n'importe quoi.
Le livre L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Mancha est l'histoire d'un vieil homme qui s'imagine que son monde est soumis à des règles anachroniques de romans de chevalerie. Terry Gilliam choisit de garder cette essence mais pas d'adapter directement le récit. Le principal reste de montrer un homme se prenant pour Don Quichotte de la Mancha au sein d'un monde contemporain qui connaît son histoire, comme dans la 2e partie du roman qui admettait que la 1ère partie était parue dans le monde du chasseur de moulins. Le film fera subir un parcours différent à son rêveur comme au personnage d'Adam Driver tout en référençant naturellement le roman. Il va même jusqu'à rappeler brièvement la présence d'un Don Quichotte apocryphe écrit par Avellaneda, que le Don Quichotte de Cervantès traitait d'imposteur. Les romans de chevalerie sont remplacés par la magie du cinéma, ce qui colle bien à une adaptation moderne et n'est pas sans faire penser avec amusement à Lost in la Mancha. Cela permet aussi de maintenir l'illusion du rêve qui serait réel, c'est d'ailleurs là que le film tire sa force. En terme d'adaptation c'est donc une bonne initiative.
Là où j'ai du mal c'est que Terry Gilliam est du genre foutraque, à foncer tête baissée et avec fracas. Le film contient pas mal de moments embarrassants, qu'il s'agisse de préliminaires sexuels qui durent, d'une scène chantée et dansée du malaise, de personnages très caricaturaux ou des hurlements qui accompagnent le long-métrage. Le personnage d'Adam Driver passe son temps à courir, gesticuler, crier, se plaindre, jurer à voix haute pour lui-même. Je m'agace très vite de ce genre de programme. De son côté Terry Gilliam semble partir un peu dans toutes les directions, faisant des micro-sketchs comiques à la Visiteurs parfois très dispensables, d'autres bien plus en phase avec l'esprit du vieux gamin qui part chasser l'injustice avec sa lance et son épée tordue. Des fois il nous livre de vrais beaux moments, comme cette première apparition touchante de Jonathan Pryce en vieillard fatigué qui veut faire de son mieux, à d'autres il vire à une romance assez niaiseuse faute d'avoir un personnage féminin consistant. Certaines séquences "d'action" ont cette touche de naïveté qui font plaisir dans le parcours de Don Quichotte et on peut sentir Terry Gilliam heureux de les réaliser enfin, d'autres sont d'un ridicule consommé (pauvre Olga Kurylenko, elle a vraiment hérité d'un sale rôle). Il y a en particulier une scène qui a viré à un vrai bazar où je ne comprenais plus qui était où, c'était un vrai cirque. Il y eu un moment où j'étais assez désolé pour Terry Gilliam qui avait mis 20 ans à pondre un film que je trouvais mineur, tout en lui reconnaissant de nombreuses idées amusantes.
Mais une fois le long-métrage terminé et avec du recul, il me plaît davantage. Déjà Jonathan Pryce est une crème, il arrive que son personnage donne envie de lui donner des baffes mais il se montre très attachant. Il était perdu, il a réussi à retrouver sa joie de vivre à sa manière et il a besoin d'aide. Il m'évoque un peu le Baron de Münchhausen, déjà adapté par Terry Gilliam. La gestion de la folie est bien gérée aussi dans sa manière de se manifester dans le monde réel, ce sont ces moments qui offrent la touche gilliamesque que l'on cherchait. Plusieurs choix du film trouvent leur sens et offrent un développement qui a de l'intérêt, me laissant une bonne impression malgré de nombreux moments de gêne comme le climax. Au milieu des scènes qui m'ont déplu j'ai toutefois un regret d'importance en ce qui concerne le traitement final du personnage de Don Quichotte. Le monsieur méritait un meilleur développement avant de finir le film, même si rétrospectivement c'est cohérent avec sa démarche.
Cette démarche qui est annoncée par le titre du film qui indique bien qui est le vrai héros de l'histoire. Cela aurait presque mérité qu'on fasse périr le Don par une arme à feu afin de titrer "The man who shot Don Quixote" et ainsi ajouter le sens cinématographique de "shot". Mais cela aurait sans doute fait penser à une référence inappropriée à Liberty Valance.
Comment conclure sur L'homme qui tua Don Quichotte ? Au milieu des petits moments d'hystéries, des détours maladroits et des personnages qui en font trop, on ressent aussi toute la force de Terry Gilliam dont la patte est indéniable. Il y croit en son Don Quichotte, il se projette naturellement aussi dans le personnage d'Adam Driver, il livre des séquences dont lui seul à la secret et il se montre parfois déchirant quand il présente un imaginaire détourné pour de tristes fins cyniques. Son Don Quichotte est loin de figurer parmi ses films les plus réussis, mais il méritait de vivre.