On peut être plongés dans une journée historique, synonyme de liesse et de communion populaires, et ne pas participer à cet élan joyeux (un peu naïf et puéril) parce qu’on est préoccupés ou distraits par ses ennuis personnels. C’est sur ce postulat que Justine Triet a bâti son premier long-métrage, La Bataille de Solferino. Pour ce qui est de l’événement, il suffit d’en mentionner la date : 6 mai 2012, deuxième tour de l’élection présidentielle qui verra la victoire de François Hollande – le Solferino du titre désignant évidemment la rue parisienne où se situent les locaux du Parti Socialiste, et non pas un rappel de la victoire napoléonienne en 1859 durant la campagne d’Italie. Pour les ennuis, ce sont ceux de Laetitia, une journaliste télé (d’une chaine info) chargée de couvrir justement le rassemblement devant le siège de la gauche, qui voit débarquer Vincent, son ex, venu rendre visite à leurs deux filles, alors qu’elle doit en parallèle gérer le baby-sitter mollasson, les gamines hurlantes, le nouveau petit ami un peu collant et ses préparatifs pour se rendre au boulot. Dans cette journée exceptionnelle qui attise les tensions en propageant un énervement contagieux, les choses vont aller de mal en pis, transformant la rue de Solferino en un petit théâtre de l’affrontement et de la dérive existentielle.

Présenté ainsi, qui plus est sous couvert d’un regard sociologique (et neutre ?) sur une génération de trentenaires victimes de la précarisation, et visiblement à côté de leurs pompes, le projet paraissait excitant. Se posait aussi la question de savoir comment Justine Triet allait utiliser ce matériau bigarré et foutoir des interviews sur le vif de militants passionnés, à droite (un peu) comme à gauche (beaucoup). La réponse tient en deux mots : très mal. Pour être plus précis, la jeune cinéaste ne fait rien de ses sujets tant politique et collectif qu’humain et individuel. Elle ne parvient jamais à nous rendre proches et palpables la fébrilité et l’excitation, parce qu’en plaçant de manière incongrue sa caméra en surplomb d’une foule dense et mue par le même désir de voir son candidat triompher, elle se tient idiotement éloignée du cœur nucléaire d’un mouvement de masse qui, au final, se réduit à une fonction de cache-sexe, bientôt délaissé, pour revenir aux états d’âme de ses personnages.

Comme on peut légitimement penser que Justine Triet représente un des éléments de la communauté qu’elle prétend observer, on ne lui fera pas le mauvais procès d’embellir ou de caricaturer le trait. Le constat n’en est pas moins affligeant : la précarité et les accidents de la vie conduisent-ils obligatoirement à l’irresponsabilité, aux comportements hystériques et égoïstes, reléguant de manière aussi inquiétante qu’obscène le rôle des enfants (et accessoirement celui d’une chienne, vue ici comme un transfert manifeste d’enfant) à des objets de transaction (qu’on n’hésite donc pas à trimballer dans des endroits surpeuplés et potentiellement dangereux) ou de chantage ?

Alors qu’il vise à s’emparer d’un certain réel pour le distordre dans la fiction d’une histoire personnelle, à la fois tristement sordide et bêtement universelle, le film sape complètement ce dessein en campant en Laetitia une journaliste en laquelle on ne croit pas un seul instant. En tout et pour tout, on l’aura vue ‘travailler’ une dizaine de minutes, soit la moitié du temps passé à trouver la tenue adéquate pour partir bosser – posant, du coup, la question de savoir s’il est nécessaire de s’habiller comme une pute pour aller mettre son micro sous le nez de militants (aux propos consternants de banalité).

C’est Emmanuel Chaumet qui est aux manettes de la production. Producteur très en vue, on lui doit d’avoir rendu visibles les œuvres de Sophie Letourneur et La Fille du 14 juillet. À Chaumet, on peut automatiquement associer le nom de Vincent Macaigne : le metteur en scène de théâtre, lui aussi très en vogue après avoir créé l’événement en 2011 à Avignon avec son adaptation peu conventionnelle de Hamlet, finit par polluer de son jeu répétitif et lassant les films où il joue. En ce sens, la dernière demi-heure de La Bataille de Solferino est une purge sans nom. On se désintéresse totalement de Laetitia, Vincent et les autres, pour lesquels on n’éprouve ni compassion ni colère. Juste une profonde indifférence qui s’étend au film entier, raté et inconsistant, dont l’énergie débordante et mal canalisée masque mal la vacuité.
PatrickBraganti
2
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Fims vus en 2013

Créée

le 20 sept. 2013

Critique lue 532 fois

4 j'aime

1 commentaire

Critique lue 532 fois

4
1

D'autres avis sur La Bataille de Solférino

La Bataille de Solférino
Moizi
7

Une femme est une femme

J'avais raté ce film à sa sortie qui semblait prometteur. Franchement c'est assez intéressant, outre l'exploit, ou du moins le parti pris de tourner lors des vraies élections (comme quoi on peut bien...

le 28 févr. 2014

28 j'aime

4

La Bataille de Solférino
Gand-Alf
6

Un monde fou, fou, fou.

Je ne me serais peut-être pas attardé devant La bataille de Solférino, premier film de Justine Triet, sans l'intérêt que porte ma bien-aimée à Vincent Macaigne, comédien encore méconnu du grand...

le 13 avr. 2015

16 j'aime

6

La Bataille de Solférino
BrunePlatine
9

Tendresse de la famille dysfonctionnelle

Quelle surprise que ce film ! Je ne pensais pas me retrouver à pleurer en le voyant, mais avec le merveilleux Vincent Macaigne, on ne peut jamais vraiment savoir, nous sommes toujours sur le fil,...

le 5 nov. 2015

15 j'aime

5

Du même critique

Jeune & Jolie
PatrickBraganti
2

La putain et sa maman

Avec son nouveau film, François Ozon renoue avec sa mauvaise habitude de regarder ses personnages comme un entomologiste avec froideur et distance. On a peine à croire que cette adolescente de 17...

le 23 août 2013

89 j'aime

29

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5