La Chasse avait de très bons éléments à faire valoir : Prix d'interprétation pour Mads Mikkelsen & Prix du Jury oecuménique à Cannes, une performance de l'acteur danois saluée par tous et une moyenne des spectateurs très élevée autant sur SensCritique que sur son concurrent Allociné. Alors pourquoi je ne lui donne que "7/10" ?

Thomas Vinterberg ne m'est pas inconnu de nom et pourtant je n'ai vu aucun film de lui. Je connais brièvement son histoire, ses récompenses et sa filmographie. Du coup, j'ai hâte de m'attaquer à Festen après avoir vu ce "Jagten". Et puis, j'apprécie le cinéma sombre nordique. Après avoir découvert des films façon Millenium ou Melancholia pour la Suède ou la saga Pusher pour revenir à ce cinéma danois, je dois dire que c'est un cinéma qui me plaît bien et il faudrait que je me procure plus de productions de ces régions.

La Chasse, c'est avant tout un sujet sensible qui repose sur plusieurs éléments. L'accusation, la pédophilie, la justice, l'enfance. C'est fini l'image d'un monde propre qui a confiance en ces proches, sa justice et ces enfants, c'est fini cette expression "la vérité sort de la bouche des enfants", c'est fini le mythe de la famille parfaite, toute cette idéalisation qu'on se complaît à croire disparaît de manière aussi brutale que l'accusation dont est victime Lucas. Dans La Chasse, c'est le retour à une dure réalité où tout n'est pas si rose.

Pourtant le film démarre sur un postulat idéal. Un petit village où tout le monde se connaît plus ou moins, s'apprécie et vivent presque en autarcie. Jusqu'à cette expression choc de la part d'une jeune enfant (un jeu d'actrice formidable pour cet âge) qui exprime de multiples choses à l'égard de l'enfance. Il y a un véritable problème d'éducation de la part des parents, de l'accès simplifié à des sites à caractère pornographique, des mensonges des enfants et de l'amour qu'un enfant peut porter à un adulte, façon Mythe d'Oedipe (une famille peu présente, un ami trop gentil et le résultat est là). Le problème à cet âge là, c'est que les enfants n'ont pas encore pleinement conscience de leurs déclarations et des conséquences que cela entraîne. Et le résultat à l'écran est bouleversant. Tout s'enchaîne très vite et on assiste impuissant à cette montée de la violence, à cette montée en puissance d'une "rumeur", à cette montée croissante de la bêtise humaine. Face à cela, un Lucas (Mads Mikkelsen impeccable sans pour autant se démarquer par rapport à d'autres rôles cette année) victime, impuissant et absolument pas responsable de ce qui lui arrive, si ce n'est avoir été (trop) gentil. Les conséquences prennent une envergure incroyable au point que toute sa personnalité soit remise en cause, le déménagement de son fils est aussi remis en question, sa petite amie ne croit plus en lui et plus personne ne lui fait confiance si ce n'est quelques personnes sensées.

Là aussi, il est intéressant de noter le rapport au dialogue. La tournure des mots influent beaucoup sur le processus de raisonnement interne et c'est vachement intéressant de voir comment sont tournées les questions par les professeurs, les psychiatres ou les adultes pour obtenir la réponse qu'ils souhaitent. Cette séquence où la fille, qui accuse Lucas d'attouchements, explique qu'elle a dit des bêtises est frustrante. Les adultes restent figés sur les déclarations "a priori et " considèrent qu'elle a été tellement troublée qu'ils vont conclure directement à de vrais attouchements sans examen physique. Jamais cette fille ne sera remise en cause même lorsqu'elle exprimera ses regrets. Les autres enfants du village vont à partir de ce moment émettre aussi quelques déclarations semblables à la fille (de manière à se rendre aussi intéressant ?) et les parents vont y croire dur comme fer. Là aussi, il y a un total manque de considération à l'égard de cet individu qui n'est pour l'instant que "suspect". Pourtant la présomption d’innocence vaut dans ce cas mais on constate que la "foule" a déjà décidé de sa culpabilité. A la manière du film "Polisse" l'année dernière, on y voit des très graves accusations sans pour autant que cela soient vraies. Un homme accusé à tort par enfant, c'est presque déjà une conclusion juridique car l'image de l'enfant, c'est la pureté, la vérité, comment ne pas le croire ? Alors que l'homme adulte, c'est tout l'inverse.

C'est subtil cette vision sur l'enfance. Ici, on a une fille complètement esseulée, à part de ses autres camarades, qui éprouve de l'affection pour son enseignant et ami de son père. Elle tombe "amoureuse" de son affection pour elle et le jalouse de jouer avec les autres. Elle lui en veut de ne pas avoir les mêmes sentiments pour elle. C'est une étude subtile de la complexité du regard de l'enfance sur l'amour et le monde des adultes.

Mais si le scénario tend à montrer le côté obscur de la nature humaine et interroger les gens, j'y vois surtout des grosses ficelles pour provoquer ce genre de réaction et d'interrogation. Pour un tel sujet et éviter les clichés du genre, il aurait été plus judicieux de laisser le spectateur en suspens. J'entend par là que le spectateur ne devrait pas savoir s'il y a eu vraiment des attouchements sexuels ou non. De manière à être encore plus choqué à la fin par les révélations et la brutalité de la foule à l'égard d'un innocent (qui a pensé à Furie ?). Ici, on part déjà du principe qu'il est innocent car on le sait et on s'insurge de voir ce qui lui arrive. Une ligne de conduite nous est dictée et c'est dommage car cela enlève la probabilité d'un twist final et en plus il y a une vision très manichéenne de tout cela. On n'arrive jamais à se mettre à la place de ces parents dont les enfants sont "victimes", leurs traits est trop grossi pour avoir une quelconque empathie envers leur situation (encore plus lorsque l'on voit que la plupart des hommes du village sont des fêtards, des chasseurs et des alcooliques notoires, cliché ?).

La symbolique du film est d'ailleurs insupportable. Thomas Vinterberg se sent vraiment obligé de faire de ces personnages des chasseurs pour être en rapport avec le titre du film et implicitement en rapport avec son sujet ? C'est vraiment lourd, et puis toutes ces petites choses comme Lucas qui enterre son chien sous la pluie façon Eminem (mais lui c'était sa mère donc ça se comprend...) ou Lucas qui explose de violence et de brutalité dans la maison de Dieu. Le film n'évite pas d'ailleurs les clichés du genre à savoir la population qui va tuer son chien, qui vont le passer à tabac, qui vont frapper son fils (bah oui, ce sont des chasseurs alcooliques, autant coller avec le cliché), qui vont briser sa fenêtre...

Mais le final permet d'oublier ces facilités scénaristiques pour tomber dans un nouveau message intéressant où finalement même si Lucas a été déclaré innocent, la foule ne le verra plus comme avant et il y a une hypocrisie monstrueuse qui se dégage de ces gens, ces mêmes qui ont tué son chien (?), ces mêmes qui ont frappé son fils, ces mêms qui l'ont accusé à tort. Et puis, on voit qu'ils se cachent derrière une façade mais qu'ils verront toujours en Lucas, un pédophile suspect. Et contre cela, la justice ne pourra rien y faire.

Finalement, La Chasse c'est un film très intéressant avec des études subtiles sur le comportement humain, sur la foule, l'enfance, la justice....mais c'est dommage que le tout soit servi par de grosses ficelles qui gâchent le potentiel dramatique et émotionnel du film. Cependant, ça reste un film plutôt brillant où Mads Mikkelsen illumine par son jeu d'acteur (il n'a pas réellement la carrière qu'il mérite dans le cinéma américain). La Chasse est une bon revers à toutes ces expressions et fausses vérités générales que les gens s'emploient à utiliser.

Imparfait mais très intéressant.
Softon
7
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2012, d'après SC

Créée

le 27 nov. 2012

Modifiée

le 28 nov. 2012

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Kévin List

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