En préambule, je tiens à revenir sur la polémique accusant La Danseuse de lesbophobie. Le film parle de Loïe Fuller (jouée par SoKo), une danseuse qui était lesbienne et mena une liaison amoureuse avec Gabrielle Boch (Mélanie Thierry). Or dans le film, cette liaison est passée à la trappe. Au lieu de cela, la réalisatrice a inventé un personnage joué par Gaspard Ulliel avec qui sa Loïe finira par coucher. Elle tentera également une scène intimiste avec une autre femme, faisant de ce personnage une bisexuelle mais en privilégiant largement la relation avec un homme. Le débat porte donc sur l'invilisibiliation de la communauté LGBT en atténuant l'homosexualité de l'originale Loïe Fuller (par contre on n'a pas de preuve attestant qu'elle n'était pas bisexuelle). C'est un juste problème que je vais toutefois nuancer par un parti pris que j'ai toujours eu avec les films : ce qui n'est pas un documentaire est une fiction. Automatiquement. Je suis ainsi habitué à ce que les biopics changent radicalement la vérité et c'est ce que je souhaite, parce que je regarde un film et non une page wikipédia, et que j'en attends ainsi qu'il déforme la vérité selon ce que souhaite raconter l'auteur. C'est comme ça que j'ai autant apprécié The Social Network, ça n'avait pas pour but de me faire connaître Zuckerberg mais de créer un personnage fictif dont on fait ce qu'on veut dans un soucis de dramatisation. Néanmoins il est effectivement regrettable d'avoir ainsi loupé l'opportunité de représenter la communauté lesbienne alors que tout s'y prêtait.


Mais je ne jetterai pas de tomates sur la réalisatrice qui ne souhaitait pas raconter d'histoire avec de l'homosexualité. Parce que même si ça me fait grincer des dents, je n'impose à personne de parler de cela dans une fiction. Elle a introduit le personnage de Gaspard Ulliel parce qu'elle souhaitait une plus grande présence masculine : il s'avère que ce personnage est ultra fadasse et que la relation amoureuse est assez nulle, il s'avère aussi que les hommes ne manquent pas dans le cinéma, mais en enlevant toute réalité historique au film je suis du genre à autoriser les réalisateurs à parler de ce qu'ils veulent, je ne souhaite pas que qui que ce soit se force à évoquer un thème qui ne colle pas avec son intention artistique. Même si dans le cas présent, ça fait mal au derrière. Je ne demande pas à tout le monde d'être d'accord avec moi, je pense que vous saviez déjà avant de me lire si vous laissez passer ça ou pas, je précise juste ici ma pensée sur cette question délicate pour expliquer en quoi ma note ne prend pas en compte ce problème embarrassant. Le film a aussi eu des accusations de culture du viol, et il est vrai que la drague du personnage de Gaspard Ulliel n'est pas respectable, tout en étant montrée comme efficace.


Considérons que l'on ne parle plus ici de la vraie Loïe Fuller, que vaut le film ? Eh bien je suis un peu partagé. Ma note est due aux scènes de danses que j'ai trouvées sublimes et qui valent le visionnage. Ce n'est pas qu'une question de mouvements de robes et de beaux filtres colorés, ce n'est pas seulement un vrai plaisir scénique, c'est aussi que SoKo se livre complètement lors de ces moments hallucinés. La danse est très expressive, c'est là que les personnages se dévoilent au public sans retenue. Et moi j'apprécie beaucoup ce genre d'expression qui mélange aussi bien l'émotion et l'art. Cela va d'ailleurs de pair avec un autre élément intéressant du film : son rapport à l'érotisme.


Loïe a rencontré sa future rivale Isadora lors d'une séance de photographie érotique. Lorsqu'elles se reverront elles prendront une nouvelle photo dans le cadre de la danse, mais dans la même posture. Et l'on constate bien que ces deux photos sont très similaires, elles cherchent et réussissent toutes les deux à montrer quelque chose de beau, dans deux registres différents. La danse est quelque chose qui met le corps en valeur, le personnage de SoKo le fait en cachant le sien sous les voiles alors qu'au contraire Isadora le montre sans fard. Jouée par une Lily-Rose Melody Depp envoûtante, elle rayonne dans une robe transparente qui choque très largement durant la Belle-Epoque, mais elle n'en a cure et se laisse porter par ses danses troublantes mais magnifiques. C'est un électron libre qui fait éclater sa sensualité dans sa danse, comme le reflet inversé de Loïe qui aspire à la même beauté et fait preuve de la même audace sous une forme différente. Ce thème m'a fait reconsidérer les images que je trouvais voyeuristes dans le film. SoKo sera souvent dénudée, et je me demande maintenant si ce n'est pas par ambition artistique plus que par banalisation des corps exposés. Alors il y a des cas ou non, c'est juste des seins montrés bêtement à l'écran et c'est moyennement la classe. Mais il y en a d'autres où l'on sent que le but est plutôt de montrer du beau. Il y a une scène qui m'a fait réfléchir parce que je ne savais pas quoi en penser. Loïe se dénude devant Isadora, la scène fonctionne très bien avec SoKo qui est magnifique, puis Isadora la laisse tomber et se barre avec un sourire, tandis que Loïe reste avec un air difficile à cerner. Des gens ont pensé que cela représentait la relation lesbienne comme piégeuse, sournoise, mais je trouve ça un peu simpliste et gratuit comme interprétation. L'idée que je m'en fais maintenant, qui en vaut une autre, serait qu'Isadora se moquerait de la tentative de Loïe de la concurrencer sur son terrain de l'érotisme et chercherait à s'éloigner d'elle pour prendre son indépendance, sûre d'elle avec son propre style à promouvoir. Mais du coup il est dommage qu'on ne la revoit plus énormément ensuite, la fin se concentrant sur l'héroïne. Et pourtant Loïe dit elle-même d'Isadora que "c'est elle la danseuse". Je ne sais pas si cela remet le titre en question.


Le film embarque de sacrés atouts, avec également sa lumière éthérée (malgré une luminosité qui m'a fortement déplu en début de film). Mais en dehors des scènes évoquées plus haut, le reste m'a paru bien froid. La vie de Loïe dans le film n'est pas aussi passionnante qu'espéré, la faute à un déroulement un peu scolaire qui manque de remuant. On ne s'ennuie pas, on a de belles images mais il n'y a rien qui agrippe notre attention, on se laisse porter un peu mollement. Loïe crée une sororité mais on ne creuse pas beaucoup dans cette direction, on se contente d'une belle scène où elles se livrent toutes avec joie à travers la danse, comme Loïe se livre elle-même sur scène. Pire, la relation avec Louis le personnage de Gaspard Ulliel, celle qui a fait couler autant d'encre, est franchement ratée. Louis se contente de rester assis avec son sourire en coin, tentant de prendre un air mystérieux de petit malin alors qu'il n'a juste rien à dire, rien à exprimer, il est invasif et n'a rien pour lui. Il aurait été largement préférable de se concentrer sur Gabrielle, beaucoup mieux traitée (dans le cadre de la fiction pure) et dont la relation avec Loïe est bien plus intéressante. Rien que pour ça il aurait mieux valu que l'amour de Loïe se porte sur elle et non sur son falot d'amant dont on se fiche éperdument.


Je suis un peu frustré par ces mauvaises décisions, par cette timidité du traitement. On a le potentiel d'un très grand film, mais ses meilleurs moments n'occupent qu'une part finalement restreinte du long-métrage. Mais ces flottements ne m'ont pas suffisamment dérangé pour occulter le plaisir que j'ai pris devant les scènes de beauté. SoKo est une actrice qui a su rendre son personnage vivant, sa quête pour s'imposer dans un monde qui ne l'a prend pas au sérieux est quelque chose de classique mais ça suffisait. C'était bien traité, pas assez pour que le film maintienne notre attention de bout en bout mais cela mérite le coup d’œil.

thetchaff
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le 10 oct. 2016

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