Reconnu par l'académie des Oscars avec 10 nominations mais encore dans la case "Euh t'es sûr d'aller voir ça ? Je suis fatigué ce soir" auprès d'un grand public légèrement paumé par Lobster et carrément abandonné sur le bord de la route à la sortie de Mise à mort du cerf sacré, Yorghos Lanthimos continue son bonhomme de chemin à Hollywood comme un maniaque à tronçonneuse dans une crèche municipale : avec une facilité déconcertante malgré la critique.


Disons-le clairement, le changement de style opéré avec La Favorite - film d'époque, pas de postulat absurde, délaissement d'une caméra "Kubrickienne" aux plans millimétrés pour les couloirs aussi étroits que sombre d'un palais/prison - s'est révélé payant. Le réalisateur grec a tenu sa promesse de livrer son film le plus accessible tout en proposant une œuvre fascinante, aussi féroce que vénéneuse, que l'on hisse déjà sur le podium des sorties 2019, si ce n'est à la toute première place.


L'histoire, ou plus précisément le terrain de jeu, est l'observation à la loupe (renforcée par l'usage intensif des objectifs type fish-eye, qui écrasent les perspectives) des luttes d'influence et des manigances de la cour pour obtenir les faveurs du véritable personnage de la reine Anne Stuart d'Angleterre, légèrement fêlée et capricieuse mais toujours moins bête que l'on l'imagine. Elle est interprétée par Olivia Colman qui à pris 16 kg de plus pour camper le rôle le plus compliqué de l'année où elle tape dans le mille à chaque seconde. Alors oui il y a une guerre contre la France et une opposition farouche des deux majorités du parlement mais l'aspect politique est résumé avec brio à la lutte des deux courtisanes de la reine Anne, son amie d'enfance doublée dirigeante de l'ombre Lady Sarah, première duchesse de Marlborough (Rachel Weisz, une main de fer dans un gant de velours) et la nouvelle venue Abigail, une des innombrable cousine de la précédente, issue d'une branche de la famille tombée en disgrâce mais bien décidée à regagner sa place au soleil. Emma Stone est un excellent choix ici aussi, car si elle reprend le rôle d'ingénue légèrement impertinente dans lequel elle est castée 9 films sur 10, son personnage va vite s'affirmer lorsqu'une vraie guerre psychologique s'amorcera contre sa rivale, dégâts collatéraux inclus.
Ce trio d'actrice aux pinacles de leurs carrières s'éclatent (et nous avec) à travers un scénario aussi baroque qu'acide. Les répliques au vitriol ont été peaufinées 4 ans par Lanthimos qui a même été rattaché au projet dès Canine, son premier film (en 2009 !). Très impertinentes et volontairement anachroniques, elles rappellent le meilleur de cette voix off qui narre Barry Lindon ou les séquences d'un trash policé du Meutre dans un jardin anglais, le chef-d'œuvre de Peter Greenaway. Derrière il y a l'initiative de Deborah Davis qui, fascinée par cette note de bas de page de l'Histoire (avec un grand H), a passé vingt ans à porter le bébé, aidée en cours de route par le scénariste Tony McNamara.


Furieusement original et absolument inclassable, seuls les nobles mettent du fard ici, le monde présenté sait se montrer cruel, surtout avec le "sexe faible" (on est dans un XVIIème pas vraiment progressiste), renforçant d'autant plus la prise de pouvoir de nos antihéroïnes et leur extirpation des mœurs du temps. Humour noir permanent, complots incessants et personnages hauts en couleur font de La Favorite un récit à part égal fascinant et terrifiant. Le tout magnifié par cette opposition constante à l'image : d'un côté le palais royal, l'aspect protocolaire et la minutie d'un décorum fastueux souvent magnifié par le clair obscur d'un éclairage à la bougie, et de l'autre les excentricités cruelles d'une noblesse décadente, invoquant toute une esthétique morbide allant des renforts de fer des robes à froufrou aux blessures et autres maladies pullulants deux siècles avant les premiers travaux sur l'hygiène.


La Favorite n'est pas un film familial, c'est du cinéma malpoli et fier de l'être qui arrive en carrosse pour tout salir. Jouissif de bout en bout, il en va assurément d'une des baffes de ce début d'année.

Cinématogrill
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les films que l'on attend le plus au 75e Mostra de Venise

Créée

le 20 févr. 2019

Critique lue 316 fois

2 j'aime

Cinématogrill

Écrit par

Critique lue 316 fois

2

D'autres avis sur La Favorite

La Favorite
EricDebarnot
5

Mouth wide shut

Il est toujours amusant de réaliser combien, à toutes les époques, on aime se faire rouler dans la farine et abuser par les imposteurs les plus outrageusement ambitieux et dénués de scrupules : c'est...

le 8 févr. 2019

101 j'aime

33

La Favorite
guyness
8

God shave the queen

Les bâtiments des siècles passés exaltant la puissance et la richesse de leurs commanditaires ont depuis toujours provoqué en moi un doux mélange d'admiration et de répugnance, par leur façon quasi...

le 26 févr. 2019

91 j'aime

16

La Favorite
pollly
9

“Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute.”

Yórgos Lánthimos en 3 films et en 3 trois actes. Il y eu d'abord Canine (2009), puis The Lobster (2015) et La mise à mort du cerf sacré (2017). Lánthimos cinéaste de l'indicible, fait de chacun de...

le 18 déc. 2018

69 j'aime

8

Du même critique

Room
Cinématogrill
5

La fin de l’innocence

8,3/10 sur l’imdb, 86% sur métacritique, 94% sur rotten tomatoes, 5 nominations pour un oscar et 7,7/10 sur sens critique à l’heure où j’écris cet article : Room à première vue apparaît comme un...

le 11 mars 2016

56 j'aime

The Florida Project
Cinématogrill
5

Question ouverte au réalisateur : où est le scénario ?

Sean Baker est à la limite de l’artiste contemporain et du cinéaste. Ultra engagé, il s’est fait connaitre après le micro exploit de réaliser en 2015 Tangerine, entièrement tourné avec trois...

le 19 déc. 2017

38 j'aime

5

Thunder Road
Cinématogrill
5

Bonjour tristesse...

J’ai sérieusement conscience d’aller à contre-courant de la perception que semble avoir le monde entier de ce film plébiscité (à part une partie de la presse française spécialisée) mais...

le 13 sept. 2018

28 j'aime

5