Le film de Yorgos Lanthimos est extraordinaire. Il est désagréable, malsain, méchant et pourtant, on l’aime, on trouve du plaisir à le regarder.


L’histoire se déroule lors du règne de la reine Anne au moment où la guerre de succession du trône d’Espagne qui, en simplifiant pour le film, opposent les Anglais aux Français.
Anne est une souveraine assez faible qui est sous la coupe de sa favorite Lady Malborough. Cette dernière recueille une cousine désargentée pour s’en servir comme servante.
Voici le point de départ de ce jeu de dupes, d’une lutte de pouvoir et d’influences.


Nous avons affaire ici à un trio d’actrices incroyables. Elles sont toutes trois au diapason.
Olivia Colman campe une reine fragile, excentrique. Son personnage est farfelue, avec des réactions étranges. Son comportement particulier s’explique par les nombreuses fêlures que la vie lui a réservé, notamment la perte de sa famille. Elle essaie de compenser le décès de son époux et de ses 17 enfants par la présence de 17 lapins dans ses appartements.
L’actrice est extraordinaire de fragilité, d’émotion. Le déroulement de l’histoire lui apprendra à s’affirmer et à ne plus se laisser faire. La dernière scène, où elle soumet finalement Abigail pour la première fois, est lourde de signification. Cette dernière comprend que sa proie n’est après tout pas si dupe de sa situation.
Pour continuer sur Abigail, Emma Stone, sous ses airs innocents et son visage angélique est une vraie diablesse.
En la regardant débarquée de sa campagne natale et se laissant martyrisée par les autres servantes qu’elle côtoie, on pourrait penser qu’elle va facilement perdre pied. Il n’en est rien. Bien au contraire ! C’est un Machiavel au féminin. Elle a toujours un coup d’avance sur sa rivale et sait se montrer encore plus cruelle et menteuse qu’elle.
Elle est sadique dans sa relation aux autres, aussi bien avec sa concurrente, sa maîtresse (la scène où elle brutalise un lapin) ou même son prétendant devenu son mari qu’elle masturbe distraitement en imaginant les desseins de son ennemie.
Reste donc la favorite en titre, qui va être évincée au fur et à mesure de l’intrigue : Lady Sarah. La magistrale Rachel Weisz prête ses traits de cette ambitieuse. Elle est vénéneuse. C’est une dominatrice qui dirige son monde d’une main de fer: son mari, la cour et même la reine avec laquelle elle jouit d’une relation privilégiée et équivoque la première partie du fin. On comprend ensuite que l’amour l’aide à convaincre la reine de suivre ses directives pour le royaume.


C’est un univers très feutré. A quelques exceptions près, les scènes ont lieu dans le château de la reine. On assiste presque à un huit-clos. Tout se passe dans des alcôves, en sous-main. Les personnages empruntent des passages secrets. Malgré les trois héroïnes, le monde autour d’elles est très masculin. Le film est vraiment féministe et pose la question suivante: « comment s’imposer dans un monde d’hommes ? ». Sa résonance est donc très actuelle.
La quête de pouvoir est permanente. La reine essaie de maintenir un semblant d’autorité dont personne n’est dupe. La favorite règne sur un monde fragile où chaque faux pas peut être fatal et la prétendant apprend les rouages du « métier » en attendant de prendre la main.
C’est le parfait manuel qui explique comment s’élever dans la société. Les moyens sont l’égoïsme, la manipulation et l’apparence.
Le choix de la mise en scène reflète bien ce monde tordu et distendu. L’utilisation à de nombreuses reprises du grand angle principalement pour des scènes de couloir renforcent la sensation de monde tordu, déformé. Comme un miroir avec un effet de loupe. C’est un monde très changeant où tout le monde joue un jeu. Rien n’est acquis.
Les 2 séances de tirs de canards exploitent admirablement le renversement de situation et de rapport de force entre la toute puissante favorite Lady Malborough et la novice Abigail qui en ultime affront souille de sang le visage de son adversaire avant de lui administrer un nouveau camouflet.


Le paradoxe tiendra tout le film. Malgré ses travers malaisants, il est truffé de bons mots et n’est pas dénué d’humour. La méchanceté ainsi que les rapports de domination et de soumission tiennent une place de choix. Le chantage aux sentiments est montré comme un moteur essentiel dans le processus d’élévation sociale et d’accession aux arcanes du pouvoir.
La morale, s’il y en a une, pourrait venir de la dernière scène: quand on a atteint le pouvoir, on ne l’a jamais vraiment…

Tonton_Bab
7
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le 16 janv. 2020

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Tonton_Bab

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