Ce film est une petite pépite. Pas forcément parce que c’est le meilleur film vu au ciné depuis un moment, pas parce qu’il a eu ses 13 nominations aux Oscars, pas parce que c’est mon préféré de del Toro. Mais tout simplement parce qu’il m’a vendu du rêve, qu’il m’a régalé du début à la fin, et que j’en suis sorti des étoiles plein les yeux.


L’histoire est terriblement simple, on pourrait croire qu’elle est presque trop classique, comme une adaptation de La Belle et la Bête qu’on a vu des centaines de fois. C’est prévisible, il n’y a pas vraiment de suspens en soit, le final ne sera peut-être même pas exubérant comme on aurait pu l’attendre. Et pourtant, j’ai adoré. Parce que dans toute cette simplicité, le film s’avère au final très subtil dans la création et le développement de cette romance. Il y a presque un côté naïf, doux, sensible, presque enfantin, dans la façon dont Elisa et la Créature interagissent. Même si c’est le cœur du récit, ce qui fait avancer l’histoire, il y a pourtant cette retenue comme pour ne pas trop la mettre en avant ; et j’ai trouvé cet équilibre vraiment rafraichissant. Alors peut-être que j’étais dans des conditions qui font que, peut-être que ça parle plus à ma sensibilité que pour d’autres films ; mais le fait est qu’il s’agit l’une des rares romances que j’ai vraiment appréciées.


Mais ce n’est pas tout. Ce qui fait que j’ai adoré ce film, c’est tout ce qui a autour de cette histoire et à quel point il se révèle extrêmement riche. J’exagère peut-être, mais c’est une véritable madeleine de Proust pour le cinéphage/cinéphile que je suis. Pourquoi ? Parce qu’au-delà de cette romance, del Toro nous propose un film qui s’inscrit profondément dans son univers mais pas que. Parce que ce film est tellement autre chose : c’est un film fantastique, c’est un film de SF, c’est un film d’espionnage, c’est un film noir, c’est un film pulp qui s’inscrit profondément dans cette époque de fin des années 50-début années 60, et del Toro va même aller chercher du côté de la comédie musicale et prendre du temps pour dénoncer certains aspects de la société de l’époque qui ont encore cours aujourd’hui. Et pour chacun de ces genres dans lequel le film pioche, on va retrouver des références à foison sans nécessairement en forcer le trait.


Le plus évident sera bien sûr le design de la Créature, qui renvoie directement à L'Étrange Créature du Lac Noir, et dont La Forme de l’eau aurait pu être à la fois considérer comme une suite ou une origin story mais n’y va jamais de façon évidente, libre au spectateur de se faire sa propre idée. Il y a bien sûr les chansons utilisées dans la bande-son, ou encore cette scène qui m’a fait penser au Danseur du dessus. L’ambiance permanente dans le complexe scientifique, les personnages, la construction de l’intrigue… Bref, La Forme de l’eau rend hommage à de nombreux genres du cinéma par des références et petits clins d’œil, ce que j’ai adoré parce que ça m’a redonné envie de voir plus de films de cette époque. À cela s’ajoute la place importante du cinéma dans l’univers de l’intrigue, ce qui renforce encore cet hommage à l’art lui-même, et qui explique pourquoi l’Académie et les critiques sont devenues dingues.


Le casting sera globalement bon, même s’il s’agira sans doute du point faible du film. En soit, on a un quinté d’acteur vraiment bons à très bons, et le reste un peu à la traîne derrière. Sally Hawkins est touchante et crédible dans son personnage, car on ne s’y attache pas dès la première minute, mais au fur et à mesure qu’on apprend à la connaître, et si l’écriture y est pour quelque chose, Hawkins en est la grande artisane, en étant à la fois simple et douce, mais également portée par ses convictions et s’y tenant fermement. Richard Jenkins et Octavia Spencer apportent tous deux un soutien solide au personnage d’Elisa, d’autant plus qu’ils ont leurs propres intrigues secondaires (plus ou moins longues) et qu’ils permettent justement à Hawkins de pouvoir s’exprimer totalement dans son rôle de muette.


J’ai bien aimé aussi Michael Stuhlbarg, dans un rôle qui lui convient parfaitement et dont il arrive à jouer les différentes facettes, et bien plus intéressant qu’on pourrait le croire. Doug Jones fait un boulot incroyable dans son costume, réussissant parfaitement à faire transparaître les émotions de la créature. Et puis il y a Michael Shannon, qui une fois de plus est extraordinaire, dans un rôle presque cliché pour lui mais c’est justement sa prestance et son charisme dans ce genre de personnage que j’adore cet acteur, et ça n’a pas raté ici.


Techniquement, le film est un achèvement total. La musique d’Alexandre Desplat est fantastique. J’ai déjà parlé de la bande-son qui rend hommage au cinéma des années 50-60, mais il ne faut pas oublier qu’elle est utilisée avec justesse à chaque fois, sans être envahissante mais apportant un plus à l’histoire. À cela s’ajoute la partition de Desplat, qui est fantastique et sans doute une de ses meilleures compositions. Parce qu’elle embrasse parfaitement cette ambiance, créant ce petit côté naïf et doux tout en allant chercher du côté du mystère et du merveilleux, et en s’inscrivant très bien dans l’époque. Le thème principal est magnifique.


Les décors sont sublimes. J’ai déjà parlé du complexe scientifique, qui m’a émerveillé à presque chaque plan, mais on peut également parler de l’appartement d’Elisa et de Giles au-dessus du ciné, l’appartement pratiquement vide du Dr Hoffstetler, la maison familiale américaine typique de Strickland… C’est simplement un régal à chaque nouveau décor. Le tout magnifiquement mis en avant par la photographie. Les effets spéciaux sont très simples mais terriblement efficaces (sauf peut-être à la toute fin), mais on doit s’agenouiller devant le travail extraordinaire fait sur le costume de Doug Jones pour la Créature, presque un pied de nez à toutes les créatures CGI des dernières années (à l’exception des singes dans la trilogie de La Planète des singes). Un costume tout simplement incroyable, qui évolue au fil du film, dont on découvre de nouveaux accessoires, où la limite entre pratique et CGI est invisible, et qui donne à l’ensemble une véritable consistance, une véritable vie. Tout simplement incroyable et magnifique.


Et puis pour parachever le tout, la mise en scène de del Toro. Une réalisation qui ira là aussi chercher ses références dans les genres que j’ai cité plus haut, mais qui restera quand même toujours bien associé à la patte de son réalisateur. Un réalisateur qui donne l’impression d’avoir été libéré de toute pression et de se faire plaisir. Il n’y a pas forcément de grands plans incroyables révolutionnaires, on reste dans l’ensemble sur du très basique. Mais que ce soit grâce au montage et aux cadrages choisis, chaque plan, chaque scène, est une merveille à regarder. Parce que l’ensemble du film se transcender et donne un résultat incroyable. On est happé dès les premières secondes et on ne sera relâché qu’à la toute fin, et on en redemandera encore. del Toro s’est fait plaisir et ça se ressent.


La Forme de l’eau est donc mon film préféré de son réalisateur. Peut-être pas le meilleur (enfin, pour moi oui), mais celui qui m’a le plus régalé du début à la fin, celui qui m’a le plus donné envie de le revoir, celui qui m’a le plus fait oublier mes soucis quotidiens. Celui qui m’a le plus vendu du rêve. Et c’est toujours ça que je recherche quand je vais voir un film. Mérite-t-il tout cet encensement par les critiques ? Mérite-t-il ce florilège de nominations et de récompenses dans les cérémonies les plus huppées ? Peut-être que oui, peut-être que non ; mais au final, je m’en moque totalement. Parce que ce film m’a vendu du rêve comme peu de films l’ont fait au cinéma, il a su toucher ma corde sensible et ma passion pour le cinéma, et c’est pour cela que je le conseillerai à quiconque me demande mon avis.

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le 7 févr. 2018

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