Vénéré par les geeks du monde entier depuis près de vingt ans, Guillermo Del Toro demeure curieusement assez méconnu du grand public malgré son abattage et quelques petits succès au box-office (les Hellboy, Pacific Rim, Blade 2...). Inutile de dire que je suis ravi de le voir accéder à la reconnaissance qu'il mérite avec son dernier long même si j'avais un peu peur de la hype et du côté " Del Toro pour les Nuls" qui se dégageait du projet.
En effet, de prime abord la Forme de l'Eau ressemble à la somme de toutes les obsessions du cinéaste Mexicain : son amour absolu pour les freaks avec notamment un homme-poisson qui est une sorte d'upgrade de ce bon vieil Abe Sapien, son sens inné de la poésie, son goût pour la mythologie et le romantisme exacerbé....
Toutefois, on aurait tort de résumer le film à une sorte de patchwork de la filmographie de son auteur car tous les thèmes évoqués ci-dessus qui étaient parfois au second plan dans ces précédents essais sont ici au coeur du récit et sont traités avec un premier degré et une pureté qui forcent le respect !
Ainsi dès la superbe introduction, il n'y a aucun doute sur le fait qu'on est face à un conte fantastique dans la lignée du Labyrinthe de Pan, une impression renforcée par la présence d'un narrateur.
Ce côté fairy tale est assumé de bout en bout par Del Toro qui prends néanmoins le parti de le subvertir en y introduisant une dimension sexuelle explicite et au final totalement logique. Un aspect qui témoigne d'ailleurs de la profondeur d'écriture des personnages tous traités avec une infinie tendresse y compris le fumier campé par le génial Michael Shannon presque trop évident dans le rôle. Il est devenu très rare de voir une péloche où chaque personnage possède un arc narratif propre et évolue pour sortir de son archétype...
Le tout est évidemment transcendé par une mise en scène élégante qui transpire l'amour du cinéma à chaque plan et qui est magnifiée par la photo de Dan Lautsen et par la musique de notre Alexandre Desplat national décidément toujours dans les bons coups ! Le talent formel de Del Toro lui permet de passer avec aisance d'une romance à la sensualité troublante à une superbe ambiance de guerre froide en passant par ses rares mais jolis moments de terreur gentiment gores qu'il affectionne tant. On regrettera juste une séquence façon comédie musicale très réussie visuellement mais franchement dispensable sur le plan narratif.
La Forme de l'eau est donc une réussite totale et même s'il ne s'agit pas du meilleur film de ce bon Guillermo selon moi, il est indéniablement un de ses plus personnels. Beau à se damner, poétique, politique (le propos sur les opprimés caractéristique du cinéaste est subtilement étendu aux noirs, aux homosexuels et aux femmes pour le plus grand bonheur d'Eric Zemmour !) et superbement interprété (Sally Hawkins et Doug Jones mérite tous les deux un oscar pour leurs performances muettes), le film constituera une formidable introduction pour ceux qui ne connaissent pas encore un des plus grands réalisateurs en activité !