Après avoir bien entamé les filmographies de ses deux comparses mexicains, Iñarritu et Cuaron, j'ai décidé de découvrir l'œuvre de Guillermo Del Toro. J'ai timidement commencé par Pacific Rim et j'en suis sorti très satisfait. N'étant pas du tout habitué aux kaiju eiga, ce film m'a naturellement surpris de par son imagerie de blockbuster d'action décérébrée qui révèle un récit captivant, des personnages attachants et une photographie sublime. Sans être totalement bouleversant, le film m'a emballé. J'ai continué à découvrir ce cinéaste avec Le Labyrinthe de Pan. Ici, je retrouvais un genre plus habituel pour moi. Toujours est-il que le film m'a, encore une fois, surpris par son ton politique qui intervient en contrepoint de l'aspect fantastique. Les deux genres de ce film créent deux histoires différentes si bien que mon intérêt s'est plus porté sur son penchant politique que fantastique. Une seule moitié du film m'a, donc, véritablement plu (l'autre moitié étant un amuse gueule mignon quoique extrêmement bien foutu, bien sûr).

C'est en ce sens que, selon moi, La Forme de l'eau propose une réécriture plus équilibrée du Labyrinthe de Pan. J'y ai retrouvé la même dualité politique/fantastique (qui me semble être une méthode de storytelling qui tient à coeur à Del Toro). Cependant La Forme de l'eau lie ces deux genres dans le même niveau de narration au lieu de les séparer. Cela a fait toute la différence pour moi. Immédiatement, je me suis senti investi dans la réalité des personnages, de tous les personnages. Je finirai la comparaison entre ces deux métrages en parlant de leurs fins.

Les deux films font mourir leur personnage principal, tués par balle par l'antagoniste. Et puis les deux héroïnes retrouvent la vie auprès des personnes qu'elles aiment. Mais là où je vois dans *Le Labyrinthe de Pan* un fantasme pré-mortem de la part d'Ofelia qui retrouve enfin ses "vrais" parents, je crois sincèrement à la résurrection d'Elisa dans les bras de la créature dans *La Forme de l'eau*. Même si les deux films laissent la part à l'interprétation poétique de leurs fins respectives, qui dépend donc des ressentis de chaque spectateur, j'ai construit mes ressentis finaux sur des éléments concrets des films. A savoir que dans *Le Labyrinthe de Pan*, Ofelia est la seule à communiquer avec les fées, le faune et les monstres, les autres personnages n'ont aucun lien narratif avec le fantastique du film, ils pensent tous qu'Ofelia s'invente un monde imaginaire, ce qui est tout à fait probable et même cohérent au regard de l'ensemble du film. Alors que dans *La Forme de l'eau*, le fantastique se révèle d'entrée de jeu comme la réalité de tous les personnages et non pas d'un seul, à mon sens la suspension consentie de l'incrédulité n'en est que plus renforcée.


La Forme de l'eau est un chef d'oeuvre. Je ne vais pas me cacher derrière une pseudo-objectivité, j'ai beaucoup aimé ce film, je ne lui trouve aucun réel défaut. L'art cinématographique joue sur nos ressentis de spectateurs donc il ne faut pas s'éloigner de notre subjectivité, il faut "simplement" la questionner car nous aimons, je crois, toujours un film pour des raisons concrètes que l'on peut définir. Pourquoi ai-je aimé La Forme de l'eau ? Qu'ai-je aimé dans La Forme de l'eau ? Comment ce film m'a-t-il parlé ?

Pour faire simple, ce film m'a donné tout ce que j'aime dans le cinéma : une histoire fantastique qui m'extirpe de ma réalité, une histoire d'amour qui me fait espérer, un ou des discours politiques mêlés à l'intrigue et un méta-discours sur le cinéma. Certes rien de tout ça n'est fondamentalement neuf ou bouleversant (je n'ai lâché aucune larme) mais tout est suffisamment élégant et bien dosé pour parler à mon coeur de cinéphile qui cherche un film abouti, équilibré, que JE qualifierais sans rougir de parfait. Entendez-moi bien, j'aime aussi les films imparfaits, j'ai même souvent plus de tendresse pour les films imparfaits, déséquilibrés, voire frustrants. Ils amènent à réfléchir sur le médium, ils créent des envies, des projets, des ambitions. Tout cela est important.

Seulement, je me suis senti devant La Forme de l'eau comme dans un doux nuage, tout était agréable. Les décors et la direction artistique, la couleur bleue, la musique reposante, les mouvements de caméra, le jeu des acteurs.

J'ai entendu dire que les personnages étaient trop manichéens mais je n'ai pas eu ce ressenti. Ecrire un personnage complexe, ce n'est pas forcément un gentil qui peut devenir méchant ou un méchant qui se remet en question pour devenir gentil. Ecrire un personnage complexe, ce peut être aussi développer la colère du protagoniste lorsqu'il se sent méprisé ou simplement oublié.

C'est Elisa qui pique une crise quand son voisin ne veut pas l'aider à rendre à la créature sa liberté, Elisa devient égoïste car elle désire protéger la créature sans forcément penser aux conséquences en ce qui concerne son voisin ou sa collègue.


Ecrire un personnage complexe, ce peut être encore supposer un moment de vie de l'antagoniste qui sort de sa routine et qui dévoile un autre visage.

C'est le colonel Strickland qui, en dehors du travail, achète une nouvelle voiture et qui salue une bande de jeunes en rentrant chez lui car cette bande de jeunes semblait apprécier sa nouvelle voiture.


Ecrire des personnages complexes, c'est juste écrire des personnages qui vivent et qui ont des sentiments, des émotions ; pas forcément des personnages qui changent d'avis après une remise en question. Les personnages de ce film sont complexes car leurs émotions varient selon les situations sans que cela ne change leur vision du monde ou leur objectif.

Pour résumer, l'ensemble du film m'a comblé et il est une séquence en particulier qui m'a transcendé.

Après la première relation sexuelle entre Elisa et la créature, Elisa repart au travail le lendemain et nous suivons son trajet habituel dans le bus. La tête contre la vitre, elle semble obnubilée par deux gouttes d'eau sur cette vitre. Ces gouttes glissent devant ses yeux puis semblent danser en rythme, se tourner autour avant d'enfin s'unir en une goutte plus importante. Il est alors évident que ces gouttes sont Elisa et la créature qui s'unissent en un seul amour, la danse étant l'évolution de leur relation. Ce plan se termine sur une transition en onde vers la suite de son trajet comme si l'écran lui-même était devenu un lac dans lequel on aurait jeté un caillou.


Cette omniprésence de l'eau est non-seulement évidente dans le parti pris du film mais m'a donné un sentiment de bien-être extrêmement fort, cette séquence en a été la révélation.

Guillermo Del Toro a dit dans une interview pour le magazine Première (Février 2018, n°482) :

> Je pars des prémices des genres - qu'ils soient nobles ou non - et je
> m'efforce de les changer, tout en les respectant. Je ne suis pas
> postmoderne. Je ne suis pas ironique. Je ne veux pas déconstruire. Je
> veux reconstruire.

Selon moi, c'est un pari réussi avec ce film, une réhabilitation du conte romantique teinté d'humanisme.

Je retournerai très certainement voir La Forme de l'eau au cinéma, je plongerai plus profondément dans la carrière de son cinéaste et j'attendrai avec joie ses futures créations espérant y trouver encore un océan de bien-être.

RémiGaillard
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le 21 mars 2018

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Rémi Gaillard

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