Couscous

Alors que je connaissais Abdellatif Kechiche depuis la révélation que j'ai eue en voyant La Vie d'Adèle (film sur lequel j'ai fait mon TPE, gros projet comptant pour le bac), je ne connaissais, en réalité, que peu de choses de lui. J'avais vu L'Esquive peu de temps après La Vie d'Adèle, j'avais plutôt bien aimé, notamment grâce aux performances des jeunes, dont Sara Forestier en Lydia qui m'avait vraiment touchée, mais j'ai eu envie d'en savoir plus. J'ai donc regardé, en ce lundi soir, les 146 minutes de La Graine et le Mulet, dont le nom intriguant ne me disait pas grand chose.

J'ai découvert un film des plus étranges, assez conceptuels, et dans lequel les gens sont plus vrais que nature. Les vraies conversations, la vraie semoule, la vraie paperasse à remplir à la mairie, les vrais petits gamins qui piquent les motos, la vraie vie : l'hyperréalisme que je connaissais depuis La Vie d'Adèle et dont je trouvais les racines. Le contraste social, entre le vieux Slimane (interprété par l'inébranlable Habib Boufares) et les fonctionnaires de la mairie ou de la banque, mais aussi au sein même du grand repas de Slimane, avec cette différence entre deux classes sociales, qui finalement, se rassemblent (ou pas) autour d'un couscous, ou même d'une danse du ventre.

Cette danse du ventre, parlons-en, parlons-en ! Je déteste attribuer à chaque film une révélation d'acteur, mais c'est malheureusement ce que je fais. Il y a eu Sara Forestier, il y a eu Adèle Exarchopoulos, il y a eu (à mon sens) Marilyn Lima, il y a eu inévitablement Oulaya Amamra et encore plein d'autres, et il y a ici Hafsia Herzi. La sublime actrice, avec ses airs de Frida Kahlo, est totalement envoûtante dans tout le film, qu'elle soit en jogging en train de manger un couscous, ou en train d'effectuer la plus belle des danses du ventre, ses joues rosies par la fatigue et son visage dans une abandon complet. Comme toutes les femmes dépeintes par Kechiche, qu'elles soient vieilles ou jeunes, célibataires ou mariées, heureuses ou malheureuses, pauvres ou riches, Rym est mise en beauté, dans une sorte de beauté au delà de la laideur du quotidien, de la brume sur Sète, de la saleté du bateau et de la moiteur du couscous.

Je regardais ce film pour m'informer du traitement de la nourriture chez Abdellatif Kechiche, ayant seulement connaissance des pâtes bolognaise et des huîtres dans La Vie d'Adèle. J'y ai découvert un traitement assez primitif avec la nourriture, bien que cette dernière occupe une place charnière de l'intrigue, mais aussi du film dans sa durée : combien de temps des 2h30 est consacré, dans le sujet ou dans l'image, à la nourriture ? Les séquences de Kechiche sont longues, très longues, et on pourrait craindre qu'elles soient trop longues : mais non. Elles sont jouissives, grâce à des conversations juteuses (le premier couscous familial, et la leçon d'arabe), des coups de sang poignants (Julia) mais aussi des façons de montrer l'humain sous toutes ses coutures. Qu'il soit en train de courir après le voleur de bicyclette ou de se déhancher sensuellement, tout de rouge vêtu, Kechiche filme l'humain, magnifié par une odeur de couscous au poisson, comme on n'en fait qu'à Sète.

Le contexte social, dont on a tant parlé dans La Vie d'Adèle, avec le côté lutte des classes et distance socio-économique, est toujours présent, notamment au début du film, lorsque le vieux Slimane se fait licencier dans un licenciement que l'on comprend vite être un parmi tant d'autres, et qui rend le film, par son engagement politique ou du moins, social, utile et intéressant pour comprendre le monde qui nous entoure.

Le film La Graine et le Mulet, dont on comprend le nom obscur en le regardant, tout simplement, est donc un film qui émeut, qui touche au plus profond du coeur, qui est une prouesse technique par son hyperréalisme et qui est superbe, tout simplement.