La Grande Évasion, mouture 1941 (High Sierra en version originale), narre les péripéties tant amoureuses que criminelles de Roy Earle qui, à peine sorti de prison, espère achever son existence de gangster par un coup d’éclat et s’assurer, par le butin ravi, une belle retraite. La grande originalité du canevas écrit par John Huston et mis en scène par Raoul Walsh réside dans la déconstruction du film noir qui voit sa voûte urbaine et crépusculaire brisée pour, en lieu et place, gagner les hauteurs. Le cadre s’ouvre, l’intrigue se déploie à ciel ouvert. Le décor du Mont Whitney aère l’espace jusqu’alors cloisonné du thriller américain pour en accentuer l’âpreté et la dangerosité : ses falaises et ses gouffres pondent un relief escarpé, aussi rugueux que l’apparence d’Earle lui-même. Et à cet apport climatique s’ajoute une thématique qui jaillit des aléas incertains du beau Bogart : la terreur d’un homme rattrapé par sa vieillesse et la mort – liée à son mode de vie et à son âge – qui le guette. Isolé, défini non par son groupe d’appartenance mais par sa profonde solitude, Earle éprouve la difficulté du statut de fugitif, incapable de construire une relation un tant soit peu pérenne et stable. Son rapprochement avec la belle handicapée met en exergue le propre handicap qui pénalise notre héros : sa fuite constante. Le mouvement pourrait définir le personnage interprété par Bogart qui, d’une course automobile jusqu’aux montagnes rocheuses, n’a de cesse de privilégier la vitesse au temps tranquille de l’existence complice, au temps exigé par l’amour. Sa fin tragique achève cette caractérisation : il s'agissait de fuir pour se fuir soi-même, pour fuir sa nature. Film policier de grande qualité, High Sierra consacre le trio formé par Walsh-Huston-Bogart comme acteur d’une transition dans le cinéma hollywoodien. Si elle pèche parfois par une dramatisation excessive qui l’empêche d’atteindre la brutalité de son propos, l’œuvre reste efficace et dispose de scènes fortes plutôt mémorables.

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le 16 juil. 2019

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