Difficile d’aborder un objet aussi hypé que LA LA LAND, film adulé depuis les premières images et porté par un duo devenu en quelques années autant les chouchous d’Hollywood que du public. En même temps, sur le papier, il y a de quoi s’enthousiasmer : une comédie musicale en hommage au 7ème art réalisée par le papa de Whiplash, brillant long-métrage sur l’univers du jazz. La scène d’ouverture donne le ton en sortant l’artillerie lourde. Via un plan séquence virtuose, Damien Chazelle filme une foule d’inconnus qui se rassemble afin de s'unir dans une chorégraphie enjouée, véritable moment d’évasion alors qu’ils sont tous coincés dans un embouteillage monstre. C’est donc, dans un premier temps, par sa bonne humeur que LA LA LAND nous happe. Il faut avouer que le procédé marche à merveille, le tout étant enrobé d’un humour mignon, de couleurs chatoyantes et de quelques pas de danse. Le film ne rechigne pas à la tâche et nous donne sans cesse. La caméra virevolte, les idées fusent de tous les côtés, Chazelle propose à gogo sans craindre que l’overdose l’emporte sur le plaisir instantané. De cette myriade d'inventivité nait une jouissance. Parce que le cinéma a délaissé la comédie musicale et voir un réalisateur de la nouvelle génération essayer avec une telle énergie de la réanimer nous procure un plaisir fou.


PHOTO - Mia et Sebastian : Amour


Cette propension à envoyer une idée à la seconde provoque un raz-de-marée visuel devant lequel il est impossible de certifier que l'intégralité fonctionne. Qu'importe, on préfère retenir la volonté. La note d'intention du réalisateur de 30 ans nous explose à la gueule telle un gros feu d'artifice : exacerber les émotions des protagonistes par l’inventivité de la mise en scène pour mieux les exposer au grand jour, créer une union sacrée entre eux et nous pour que notre battement de cœur entre en phase avec le leur. En ce sens, chaque plan séquence trouve sa justification, nous branchant sur un courant émotionnel commun tellement brut que le montage ne serait pas assez puissant pour intervenir. Ces scènes sont des moments d'évasions, des échappatoires aux tracas du quotidien, aux rêves avortés, aux obstacles désespérants de la vie. Car LA LA LAND parle du désir de création et du besoin d'obtenir la reconnaissance proportionnelle. Trouver sa voie par le biais de l'art et ressentir que le monde l'approuve, cette adjonction si délicate est le moteur qui anime autant Sebastian que Mia (les deux acteurs sont formidables de magnétisme). Quand le premier rêve d'ouvrir un bar à jazz, la seconde aspire à devenir une actrice.



« La La Land conjugue joie et tristesse, sophistication et simplicité, désirs et réalité »



Le long-métrage est souvent dans la superficialité et le paraitre, alignant des décors de cartes postales, des belles lumières crépusculaires, des mouvements d'appareils fluides. Pour mieux glisser progressivement vers la désillusion. Voilà pourquoi réduire La La Land à du simple feel-good movie n'est pas un moyen de lui faire honneur. Il y a de ça, certes - le film a cette capacité à nous flanquer un gros sourire aux lèvres. Derrière la multiplicité des effets de style, une fois qu'on en a pris plein la vue, le film perd en explosivité à mesure que le couple se dégrade. La forme s'accorde harmonieusement avec la nature des émotions, les danses enivrantes laissent place à la mélancolie, aux regrets d'un temps idéalisé désormais loin derrière. Le chapitrage par l'enchaînement des saisons n'est qu'une apparence (une des idées ratées), le long-métrage se découpe véritablement en deux blocs : se laisser bercer naïvement par la puissance des illusions puis redescendre sur Terre en empruntant une voie qui peut causer des dégâts. La très belle scène dans l'Observateur parmi les étoiles est une traduction littérale de ce besoin de se construire par le prisme de l'imaginaire une petite fenêtre vers ses rêves.


PHOTO - Mia et Sebastian : désillusion naissante


En prenant une tonalité moins tonitruante, le long-métrage permet à ses personnages principaux de gagner en épaisseur. Ce qu'il perd en fulgurance formelle, La La Land le gagne en densité émotionnelle. La magnifique scène de la dispute lors du repas en atteste. Sans aucun effet, via un simple champ-contrechamp, Chazelle rend inéluctable la fin d'une idylle déconnectée de la réalité. Malgré cela, le film a l'élégante attention de ne jamais être plombant, préférant répandre un doux spleen en allant chercher du bonheur dans la tristesse. A l'image de ce final, qui ranime la flamme et nous aspire dans un maelström d'émotions. Le long-métrage revient à un état de frénésie esthétique pour un baroud d'honneur emportant tout sur son passage. Puis ce dernier regard entre Mia et Sebastian, où les yeux semblent répéter ce que se disait Guy et Geneviève à la fin des Parapluies de Cherbourg ("Toi tu vas bien ?", "Oui, très bien"), est autant une délicate citation qu'une manière d'achever le film aux antipodes des première secondes. Tout et son contraire se confrontent dans LA LA LAND pour faire jaillir un quelque chose de magique, une étincelle née de la friction entre désirs et réalité, sophistication et simplicité, joie et tristesse. Pléthore de sensations que le spectateur, en osmose, s'émerveille à ressentir en compagnie de ce couple ayant promis de s'aimer pour toujours.


Par Maxime, pour Le Blog du Cinéma

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le 26 janv. 2017

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