La Lettre Écarlate est le cinquième film réalisé par Victor Sjöström aux États-Unis. Larmes de clown fut probablement son premier grand coup d’éclat outre-atlantique, avec un très grand Lon Chaney dans le rôle principal. La Lettre Écarlate jouit peut-être une réputation légèrement moindre, mais il s’agit sans conteste d’une des pièces maîtresses de sa filmographie.


Le cinéaste suédois nous ramène aux origines de la société américaine, très puritaine et protestante. Très attachés aux valeurs et aux lois religieuses, souvent appliquées durement, ils sont toujours au rendez-vous des sermons du révérend Dimmersdale, qui ne manque jamais de haranguer les foules grâce à ses paroles. Hester, quant à elle, est une femme solitaire, qui doit répondre de « crimes » anodins jugés graves par les lois religieuses, et qui doit être entravée et immobilisée sur la place publique pour se repentir de ses erreurs. Ce sont la pitié et la compassion qui mèneront le révérend à la libérer, jusqu’à éprouver des sentiments pour elle. Cependant, alors que cette idylle déjà peu acceptable aux yeux du peuple naissait, il ne savait pas qu’Hester était mariée, avec un homme qu’elle n’aimait pas et qui ne l’aimait pas, et qui avait disparu alors qu’elle ralliait l’Amérique depuis l’Europe. C’est donc avec le poids d’un terrible secret, et loin des yeux de tous, que les deux amants devront tenter d’assouvir leur passion commune.


Le révérend et Hester doivent vivre dans la marginalité, comme Eyvind et Halla dans Les Proscrits (1918). On retrouve, dans La Lettre Écarlate, la même nécessité de fuir pour vivre pleinement, et pour s’isoler d’une société délatrice qui peut tout anéantir par principe. La pression exercée par cette société est, cependant, beaucoup plus violente ici, celle-ci étant présentée comme étant foncièrement injuste et hypocrite, cherchant toujours des bouc-émissaires et ne respectant elle-même pas en privé les lois qu’elle applique en public. Ces lois sont d’ailleurs créées par des hommes, toujours décisionnaires, et orientant souvent les règles à l’encontre des femmes. La Lettre Écarlate vient illustrer la naissance d’une société construite et régie par des hommes, pour les hommes, où les femmes paient le prix pour les fautes de ces derniers.


A la manière de Häxan : la sorcellerie à travers les âges (1922), La Lettre Écarlate montre la cruauté et l’injustice des hommes à l’égard des femmes, pêcheuses par excellence, descendantes d’Eve, qui avait cueilli le fruit défendu. Défendu, comme cet amour incontrôlable qui unit Hester et le révérend, perpétuellement menacés par la société et par le fantôme de Roger Prynne, qui hante la jeune femme. Incarnée par une brillante Lillian Gish, c’est un personnage avec de la profondeur, très tourmenté, comme toujours chez Sjöström. L’actrice y est captivante, parvenant, rien qu’avec son regard, à traduire des émotions à parler au spectateur, lui faisant partager toute la souffrance qui l’accable, notamment lors d’une scène mémorable, au milieu du film. En silence, le spectre de la vengeance fomente son plan, alors qu’Hester et le révérend cherchent l’apaisement et la rédemption, prouvant définitivement que nous sommes dans un film de Victor Sjöström.


La Lettre Écarlate est un film d’une grande puissance dramatique, d’où émane une grande force. Parfois plus évocateur dans ses représentations de la nature (Terje Vigen, 1917) ou dans ses pérégrinations dans le genre fantastique (La Charrette Fantôme, 1921), le cinéaste suédois revient à quelque chose de plus terre à terre, qui ne manque pas d’être éloquent, capitalisant sur la puissance des images, et porté par ses acteurs principaux. Une nouvelle grande oeuvre de sa part.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 24 févr. 2020

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