Jocelyne,mercière quadragénaire,vit à Arras,chef-lieu du Pas-de-Calais comme il est stipulé dans "L'ami Bidasse" autrefois chanté par Fernandel.Sa vie a été jalonnée de coups durs mais cette femme énergique est parvenue à se créer une existence dont elle est satisfaite,tant au plan personnel que professionnel.Jusqu'au jour où le destin s'en mêle.Un café au comptoir,une grille de loto prise sous la pression de copines accros à ce jeu,des numéros cochés au hasard et vlan!La voilà munie d'un chèque de dix-huit millions d'euros.Ce qui chez la plupart des gens serait accueilli comme une bénédiction ne provoque en elle que la panique et elle choisit de ne révéler à personne sa bonne fortune,se contentant de planquer le chèque à son domicile.Car Jocelyne a peur.Peur de voir les gens autour d'elle changer,peur de voir ses rapports avec ses proches se détériorer,peur de voir l'équilibre patiemment construit et chèrement acquis de sa vie voler en éclats.Mais ce silence va au contraire entraîner ce qu'elle redoutait.Techniquement,Didier Le Pêcheur est un cinéaste médiocre et son film en pâtit.Ca manque de dynamisme,ça manque de rythme,ça manque d'idées de mise en scène,bref ça ressemble à un téléfilm.Par contre,il a une grande qualité,il est attiré par les sujets sombres et pessimistes,loin du "feel good movie" si à la mode dans le ciné grand public.Lui ferait plutôt dans le "feel bad movie".Pas étonnant donc qu'il ait voulu adapter le roman de Grégoire Delacourt,dont il tire une fable amère et désenchantée.Alors,l'argent fait-il le bonheur?On a coutume de dire que non,mais qu'il y contribue,ce qui est assez juste.Mais trop d'argent trop vite,c'est forcément difficile à gérer:tentation de la surconsommation,sollicitations diverses,disparition du sentiment de mériter ce qu'on a,développement de la paranoïa par rapport au comportement de la famille et des amis.Le sujet est vaste mais le film va plus loin que ça.Au-delà du conte cruel sur le pouvoir corrupteur du "vil métal",ainsi que le qualifie Fernando Rey dans"Tristana",Le Pêcheur et Delacourt nous parlent aussi des mécanismes du couple,de la confiance mutuelle et de ses limites,du manque de communication malgré l'amour et la proximité,du comportement social en général.Jo,le mari de Jocelyne,est un ouvrier beau gosse et taiseux.Il va se conduire de manière ignoble mais,lorsqu'il ouvre enfin les vannes et se décide à s'expliquer,on comprend,même si on ne peut les excuser,les raisons qui l'ont poussé à la faute.Car la peur est au coeur du drame que vivent les deux époux.Finalement,Jocelyne a sa part de responsabilité dans cette affaire.Son entêtement à taire sa soudaine richesse relève de l'égoïsme.Elle ne veut pas modifier sa vie bien ordonnancée,sans se préoccuper de ce que son mari,lui,voudrait,d'autant que Jo n'est pas aussi ravi qu'elle de son quotidien.Du coup,chacun s'installe dans le non-dit,Jocelyne craint,peut-être à juste titre,que son mari devienne un connard,lui a peur,sans fondement mais il l'ignore,de se faire spolier par sa femme.Mathilde Seigner est l'actrice idéale pour incarner cette femme du peuple solide en apparence mais minée par le doute,à la fois chaleureuse et secrète.Marc Lavoine,définitivement bien meilleur acteur que chanteur,signe une monstrueuse performance en prolo ténébreux.Les comédiens de complément apportent de salvatrices touches d'humour dans ce noir contexte.Virginie Hocq et Frédérique Bel sont drôles et charmantes en jumelles portant le même prénom et Patrick Chesnais est comme toujours plus que parfait en père frappé d'amnésie.Il est à noter que certaines scènes humoristiques sont outrées et ne fonctionnent guère dans ce film qui se veut réaliste mais il en est une qui casse la baraque,celle de la psy de la Française des Jeux,aussi terrifiante que désopilante,qui est portée par une Julie Ferrier méconnaissable.