Sept ans de travail, quatre millions et demi d’euros de budget, une campagne Kickstarter qui a rassemblé 796 contributeurs, un scénario basé sur 800 lettres écrites par Van Gogh et mis en images grâce à 66 960 plans peints à la main, dix jours pour peindre une seule seconde de film… La Passion Van Gogh est une véritable prouesse technique et artistique qui impose un respect immédiat. Mais si sa seule conception s’avère fascinante, c’est bien parce qu’elle nous invite à pénétrer l’âme de l’un des plus grands artistes de tous les temps.


Comme le précisera son générique de fin, Van Gogh souhaitait que l’on comprenne qu’il ressentait les choses avec une profonde tristesse. La réussite du film tient dans cette capacité à le restituer comme une figure insaisissable, torturée, contradictoire et énigmatique. Bref, « un homme en lutte contre lui-même et conscient de son art », comme Vincente Minnelli s’était passionné à le décrire dans son film dédié au peintre en 1956. Mais plus que ce dernier, La Passion Van Gogh évoque surtout les démarches de Milos Forman (Man on the moon) ou de Joann Sfar (Gainsbourg) dans leur volonté de s’émanciper de la réalité pour mieux nous faire pénétrer l’âme de l’artiste, tenter d’appréhender ses tourments pour le faire revivre à travers son art. Loin de la forme classique d’un biopic, d’autant que le scénario s’intéresse essentiellement aux derniers jours de Van Gogh, le postulat et la structure du film évoquent également rien de moins que Citizen Kane, dans cette histoire d’un homme qui va découvrir l’intimité du peintre au fur et à mesure de ses rencontres avec ceux qui l’ont côtoyé. La comparaison s’arrête là, le long-métrage n’ayant pas vraiment vocation à approcher le génie visuel du monument d’Orson Welles. Il faut dire qu’avec son scénario construit de manière à pouvoir reproduire un maximum de tableaux du maître, bien aidé en cela par le format 1.33 permettant de restituer la verticalité de plusieurs d’entre eux, Dorota Kobiela et Hugh Welchman semblent limiter leurs idées visuelles à leur ambitieux concept. Bien sûr, le film offre une radicalité et une personnalité esthétiques bienvenue à l’aune du tout-venant qui rechigne à s’aventurer vers de nouveaux horizons ; et son prix du public reçu à Annecy est en cela réjouissant. Mais il demeure cette impression d’un exercice de style compilatoire, extrêmement respectueux de son sujet. En témoignent les flash-backs voulus en noir et blanc car ne se basant généralement pas sur des peintures préexistantes et une mise en scène limitée par le choix des tableaux.


Qu’à cela ne tienne, l’intégrité artistique de La Passion Van Gogh fait merveille par ailleurs. Son choix d’un style impressionniste, donc reflet d’un point de vue, est idéal dans le cadre d’un récit qui confronte ceux de plusieurs individus autour d’un même sujet. Parce qu’il laisse le personnage de Van Gogh à distance tout en nous faisant pénétrer son art, le film crée une fascination pour l’artiste qui contamine jusqu’aux protagonistes, dont les souvenirs arborent le style si caractéristique du peintre. Le choix d’acteurs pour les incarner, s’il surprend d’abord par la fluidité imprimée à l’écran, se montre idéal pour restituer les émotions humaines que le hollandais cherchait à transposer sur ses toiles.


Bref, en parlant plus de l’artiste que de l’homme, de la représentation plus que de la réalité, La Passion Van Gogh ne passe pas loin de l’expérience sensorielle. Le très beau score de Clint Mansell aidant, il reste au moins un tour de force aussi passionnant qu’émouvant.

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le 16 août 2017

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