Vincent Van Gogh est mort à Auvers-sur-Oise le 29 juillet 1890 (il avait 37 ans), deux jours après s’être tiré une balle dans le ventre, quelque part dans un champ. L’histoire dit qu’il a trouvé la force de rentrer à l’auberge Ravoux où il séjournait, mais qu’il est mort des suites de sa blessure (en présence de son frère Théo appelé d’urgence), malgré les soins du docteur Gachet. Ce film d’animation prend le parti d’explorer les circonstances du drame pour chercher à comprendre ce qui s’est passé, en considérant qu’on s’est contenté d’accepter la version du geste désespéré d’un malade mental. Hypothèse très largement accréditée par un fait datant de décembre 1888 : il s’est tranché une oreille après une dispute avec le peintre Gauguin. A la suite de quoi il fut interné à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence. A sa sortie, devenu indésirable en Arles, il déménage à Auvers-sur-Oise où il devient ami avec le docteur Gachet, lui-même peintre amateur. Ce qui n’empêchera pas une nouvelle dispute (violente) avant le coup de feu fatal.


Si l’argument de base du scénario est assez artificiel (Armand Roulin est chargé par son père, le facteur Joseph Roulin, de remettre à la famille de Vincent, une lettre qu’il aurait écrite peu avant sa mort), il permet de tenter de mieux connaître les personnes qui gravitaient autour de Vincent à Auvers-sur-Oise, les relations entre les uns et les autres ainsi que l’ambiance dans cette bourgade. Observés avec le recul de plus d’un siècle, nous ne pouvons plus que chercher à évaluer la valeur de certains témoignages, imaginer pourquoi van Gogh a été blessé comme on l’a retrouvé (maladresse ? hésitation ? ou bien quelque autre raison qui aurait été négligée ou même oubliée, parce qu’il n’y eut pas vraiment d’enquête à l’époque ?) et chercher d’où venait le pistolet qui a tiré. On comprend que le peintre vivait dans des circonstances difficiles. Son comportement ne devait pas être ordinaire, ce qui fait qu’il se trouvait régulièrement en bute à des moqueries, etc.


Le film est donc présenté sous la forme d’une véritable enquête menée par Armand Roulin sur la vie du peintre à Auvers-sur-Oise. Bien documenté, il apporte un éclairage intéressant et présente une hypothèse qui se tient, laissant au spectateur la possibilité de juger de la crédibilité de ce qui est avancé. Au crédit du scénario, on peut dire que Vincent entretenait une correspondance très soutenue avec son frère Théo. Ajoutons que Théo faisait en sorte que Vincent ait les moyens de vivre tout en allant au bout de ses projets de peintre, tout simplement parce qu’il croyait en son talent. Et puis, le caractère ombrageux de Vincent se voit confirmé par ses sautes d’humeur marquées par ses disputes avec des proches. Détail très intéressant cité dans le film, Vincent a reçu ce prénom qui avait été donné auparavant à un frère mort-né qui a pu marquer l’imaginaire familial au point d’en faire une sorte d’idéal avec lequel le Vincent qui a vécu ne pouvait pas rivaliser, en dépit de son talent.


Abordons maintenant l’aspect technique du film qui est présenté comme le premier film en peinture animée. Coproduction anglo-polonaise (avec une réalisation partagée entre Dorota Kobiela et Hugh Welchman), le film a été tourné en prises de vues réelles avec des toiles de Vincent Van Gogh comme pivots. L’animation est un travail de plus d’une centaine de peintres qui, sur les prises de vues, ont composé 62 450 plans sur toile en respectant le style de l’artiste néerlandais (couleurs, technique, etc.) Le résultat est étonnant, car le mouvement est effectivement donné par les positions des traits de pinceaux. Le plus intéressant, c’est que le travail donne en quelque sorte vie à l’univers de Vincent Van Gogh. Au passage, l’amateur reconnaît pas mal de ses tableaux. Notamment :
- Terrasse de café le soir
- Joseph Roulin assis (une version)
- Armand Roulin
- Portrait du père Tanguy (une version)
- Marguerite Gachet au piano (une version)
- L'église d'Auvers-sur-Oise
- Nuit étoilée sur le Rhône
- Champ de blé aux corbeaux
- Portrait du docteur Gachet avec branche de digitale (une version)
- Autoportrait


Ce dernier tableau est particulièrement significatif, non seulement parce qu’il n’apparaît qu’à la fin du film, mais plus sûrement parce que ces traits épais bleus ondulés qui constituent le fond, suggèrent le mouvement, l’humeur du peintre et son malaise intérieur. En respectant ce style très personnel, les concepteurs du film vont dans le sens de ce qu’on connaît du peintre et c’est réussi.


Vient quand même la question qui donne à réfléchir sur le long terme. Van Gogh n’a vendu qu’une toile de son vivant, alors qu’aujourd’hui quasiment tout le monde l’aime et ses toiles valent des fortunes : pourquoi ? On peut évoquer la position que tout le monde vénère, celle de l’artiste maudit : différent et moqué hier, reconnu et admiré aujourd’hui pour son talent original. Très crédible également, le fait qu’il ait été en quelque sorte en avance sur son temps. Il y a peut-être eu une réaction par rapport au fait que le personnage ait été si mal considéré de son vivant, comme si le début de sa renommée pouvait être due à une sorte de réaction de culpabilité. On peut aussi se demander si sa renommée restera au niveau où elle se situe actuellement. Enfin, parmi les artistes de notre époque, à côté de qui passons nous par méconnaissance, incompréhension ou autres raisons qui nous échappent complètement ? Tout cela amène à relativiser nos positions en matière d’appréciation des œuvres d’art et donc à considérer avec humilité ce qu’on publie sur SensCritique. Ainsi mes critiques sont des lectures personnelles rédigées dans un souci d’objectivité, mais avec un degré d’appréciation qui peut évoluer avec le temps (et être discuté). Mon principe est que si une œuvre est vraiment bonne, elle doit le rester.


Ce film de passionnés (voir son titre) a comme point fort de nous restituer de façon crédible la fin de la vie de Vincent Van Gogh, en illustrant un scénario fouillé (mais qui retarde un peu artificiellement l’entretien crucial d’Armand Roulin avec le docteur Gachet), qui (grâce à la technique, originale pour un long métrage, de la peinture animée), plonge le spectateur dans l’univers de l’artiste en exploitant plus de 800 lettres de sa main. Ce choix est néanmoins très arbitraire (et ne convaincra pas les détracteurs du film qui n’y voient qu’un simple produit dérivé), car l’action se situe après la mort du peintre. De plus, l’utilisation du noir et blanc pour les flashbacks donne un effet inattendu : l’image du passé semble plus nette que celle du présent !


Malgré ces quelques réticences, ce travail original et très soigné mérite largement la découverte.

Electron
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le 15 oct. 2017

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