Aux yeux de tous, les années 2000 sont une période sombre pour Walt Disney Animation. Des films moins mémorables aux scores décevants, une concurrence toujours plus nombreuse recevant à la fois les honneurs de la presse et du public, un patrimoine entaché par toutes les suites au rabais que le studio est obligé de déléguer à son petit frère attardé Toons production... L'entreprise ne doit son salut que par l'énorme succès de gros blockbusters qu'elle produit tels que la trilogie Pirates des Caraïbes, ainsi que par la distribution des films Pixars qu'elle finira par racheter en 2007. Du reste, son propre studio d'animation, ce qui lui avait permit d'acquérir une renommée internationale est plus devenu un gouffre financier qu'autre chose. Et il en faudra du temps avant que John Lasseter ne reprenne les choses en mains.


En ce qui me concerne. J'ignore si c'est parce que j'ai grandi dans cette période sombre et que j'ai eu l’occasion de découvrir presque chaque film au cinéma, mais j'éprouve une certaine tendresse pour les longs-métrages Disney des années 2000. Déjà je n'ai pas une grande estime pour les classiques des 90's que je trouve globalement niais, surestimés par nostalgie et incroyablement formatés. Or, si l'on peut au moins reconnaître une chose aux dessins-animés qui les suivent, c'est leur inventivité. En effet, le studio ne cherchait plus à calquer la même recette à succès. Sentant le vent tourner, les réalisateurs se cherchaient un nouveau style et ont donc produit coup sur coup des films très différents. Que se soit Kuzco, une pure comédie burlesque et absurde dans la lignée de Tex Avery; Atlantide, un récit d'aventure sombre et épique ou Lilo & Stich, véritable hybride à la fois science-fiction, buddy movie et comédie familiale, centré sur une famille mono-parentale et ancré dans notre propre monde et non dans un univers fantasmé. Chacune de ces œuvres indépendamment de sa qualité possède sa propre personnalité, son propre ton et son propre univers qui la rendent unique, loin de toutes les comédies musicales remplies de magie Disney qui ont tendance à me révulser.


La Planète au Trésor découle du même état d'esprit. Même si le film ne cache pas sa filiation avec Atlantide, il parvient à se différencier de son aîné sur de nombreux points.
Adaptation du célèbre roman de Robert Louis Stevenson, Ron Clements et John Musker vont entièrement se réapproprier l'histoire, ne faisant plus voguer leurs personnages sur les flots à la rechercher d'une île mais dans l'espaaaaaaaaaaaaace infinie à la poursuite d'une immense planète. Le film arbore ainsi un univers Steampunk, déjà présent dans Atlantide mais bien plus prononcé et qui, combiné au film de pirates, lui donne une esthétique unique en son genre.


Cependant, le dessin-animé porte désormais le poids de ses vielles années. Le parti prit de l'époque était de faire coexister animation numérique et traditionnelle tout au long du film,permettant ainsi à nos personnages 2D de se retrouver dans d'immenses décors entièrement générés par ordinateurs. Or si en 2002 l'illusion était parfaite, de nos jours la mayonnaise ne prend plus. Le problème n'est pas tant que les images soient toutes devenues immondes, mais l'animation 2D a du mal à se fondre dans ces espaces entièrement numériques. Dès lors, impossible de croire à la cohérence visuelle de cet univers, on sent que quelque chose ne va pas, les protagonistes ne s'intègrent pas aux décors les rendant de ce fait très artificiels et là patatra on sort du film. C'est ce que j'appelle l'effet Star Wars II.


Dommage, car l'image de synthèse offrait beaucoup de possibilité à La Planète au Trésor. Les décors en 3D donnaient un vrai sentiment de gigantisme aux environnements, les protagonistes paraissant minuscules par rapport au grandiose de leur univers. Et puis le tout numérique a permit de surcroît une mise en scène beaucoup moins conventionnelle. Des plans moins statiques, plus de mouvement spectaculaires, des angles de vue audacieux, une plus grande profondeur de champ... Tout ceci n'est peut-être qu’accessoire, mais il contribue à cet esprit d'inventivité et d'expérimentation dont je vous parlais toute à l'heure.


Et de l'inventivité, il y'en aura aussi au niveau des personnages. Si au premier abord, le héros peut sembler n'être qu'un casse-cou, aventurier et courageux de plus, se serait occulté l'ensemble de son background. Jimbo est en effet un garçon rebelle qui n'a pas une grande conception du bien et du mal, ce qui le conduit à faire quelques conneries par pur amusement. Fan des histoires de pirates, il pourrait vivre comme eux si l'occasion se présentait tant sa soif d'aventure est grande. Alors lorsqu'une expédition vers la planète au trésor se présente, Jim saute sur l'occasion. Il cherchait du frisson, il en aura. Mais ce périple lui permettra également la rencontre qui manquait à sa vie. En effet, Silver un matelot fourbe et manipulateur a fomenté une mutinerie avec le reste de l’équipage afin que lui et ses compagnons pirates puissent empocher le pactole. Par peur que Jimbo ne découvre le pot aux rose, il va alors le prendre sous son aile et lui apprendre les rudiments de la vie dans le cosmos afin de garder un œil sur lui. Au fur et à mesure du voyage, les deux hommes vont se rapprocher et nouer une relation quasi filiale, offrant ainsi à Jim le père qu'il lui a toujours manqué. On comprend alors mieux le douteux choix de David Halliday au casting, vu ses relations conflictuelles avec son propre paternel, même si cela n'excuse en rien sa piètre performance vocale sur l'unique chanson du long-métrage. Enfin, encore heureux qu'on est pas eu une énième comédie musicale, n'est pas Francis Lalane qui veut....
Bref, plus que la présence d'un être plus âgé et aimant aux côtés de Jimbo, Silver va surtout lui apprendre indirectement la différence entre le bien et le mal. En effet, une fois La Planète convoitée en approche, le vieux matelote va révéler sa vraie nature. Celle d'un pirate activement à la recherche de cet immense trésor depuis des années, au point d'avoir laissé quelques organes vitaux en chemin. Pour s'emparer du butin, il s'est associé à une bande de vils loups de mer encore plus cruels que lui. Il est déterminé et prêt à tout pour obtenir ce qu'il désire, quitte à tuer quelques innocents dans son sillage, même si cela ne l'enchante guère.
Silver est un être déshumanisé à la fois mentalement et physiquement puisque c'est un cyborg ce qui en fait l'être le plus nuancé que j'ai jamais vu dans un film Disney. Mais oui, réfléchissez ! Le studio a toujours fait preuve d'un grand manichéisme dans ses longs-métrages. Chaque personnage étant précisément identifiable comme gentil ou méchant, l'entre deux est pour ainsi dire inexistant. Un an après la sortie du film, un autre protagoniste tout aussi ambiguë marqua les consciences dans un film live. Il s'agit bien entendu de Jack Sparrow. Avec un pirate alcoolique et manipulateur motivé par ses propres intérêts comme héros de l'histoire, l'enfant devait sans doute se demandait si il devait soutenir ou haïr ce drôle de personnage. Toute fois, la question était vite désamorcée par tout un tas d'éléments confortant le caractère héroïque du protagoniste. Son courage, sa motivation honorable de liberté, sa sympathie, sa compassion, ect... Tout ceci fait que, malgré les apparences, Sparrow ne nous apparaît jamais réellement menaçant et on sait pertinemment qu'il finira par aider les gentils à poutrer le vrai méchant du scénario.
Silver en revanche est bien plus complexe que son homologue. Le personnage passe constamment du diable à l'ange ce qui le rend tantôt sympathique, tantôt menaçant, tantôt attachant, tantôt détestable, tantôt drôle et tantôt terrifiant. Ce n'est pas un subalterne d'un méchant principal obligé d’obéir aux ordres et dont on sent qu'il ne représente aucune menace pour notre héros. C'est à la fois un bon gars et le méchant de l'histoire, car sa principale motivation reste ce foutu trésor et cela passe avant tout le reste, peu importe ses sentiments pour Jimbo. Pour preuve, son second le capitaine Krabz, un être uniquement mauvais et qu'on a apprit à détester depuis le début, disparaît au milieu du film, faisant de notre matelot/pirate l'unique antagoniste du long-métrage durant tout le dernier acte. Ce personnage transmet tellement de sentiments contradictoires au spectateur que jusqu'au bout, on ignore si l'on doit le craindre ou l'adorer. Et c'est donc un immense soulagement de le voir finalement renoncer au trésor pour sauver son fils de cœur. Aussi, lorsqu'il prend la fuite en fin de film après une émouvante scène d'adieux avec Jim, on ne peut s'empêcher d'être ému pour ce sympathique loup du cosmos, alors même que nous le haïssions 5min plutôt.
Par cet antagoniste hors du commun, les réalisateurs exposent une vision moins manichéenne du monde. Ils prouvent que les méchants ne sont pas forcément de gros salopards rongés par le mal mais que de bonnes personnes peuvent également commettre de mauvaises actions si leurs sentiments sont guidés par un dessein bien trop obsessionnel. Par le développement de Silver, Musters et Clements abordent subtilement l'obsession et la déshumanisation qu'elle entraîne petit à petit chez l'humain un peu trop impliqué dans l'accomplissement de son rêve.
Silver est un personnage riche pour le spectateur mais également pour notre héros qui, après cette belle aventure, rentrera dans le droit chemin et mènera une existence pleine d'aventure, mais tout en restant fidèle à ses valeurs et proche de ceux qu'il aime.


Parmi les autres protagonistes intéressants, nous pouvons citer le meilleur personnage féminin de Disney, bien plus féministe que de pseudos femelettes dans le genre tel que Raiponce, Elsa ou la princesse Rebelle. La Capitaine Améliat est une femme forte qui dirige d'une poigne de fer son navire entièrement peuplé d'un équipage masculin. Mais elle ne se définit pas uniquement par cet aspect là. Elle a une vraie personnalité à côté, ce qui l'étoffe d'avantage et n'en fait pas un énième cliché de "la femme forte", tel qu'il est devenu si récurrent depuis la princesse Leia dans Star Wars. De plus, son statut de chef n'est JAMAIS remit en question sous prétexte qu'elle est une femme. Et ça, mais c'est tellement plus éloquent que tous les autres films se revendiquant féministes. Dans la grande majorité des cas, une fille forte avec de grandes responsabilités sera constamment remise en cause par les membres de son entourage masculin qui ne croiront pas en elle, l’obligeant ainsi à prouver sa valeur et à se surpasser plus que les autres. Pour moi, même si le message délivré est positif, à toujours présenter cette situation comme étant une exception déstabilisant tous les autres protagonistes, on finit par créer le sentiment que cette situation n'est pas normale étant donné qu'elle pose un problème. Ainsi l'enfant, même si il saura qu'une femme peut être tout aussi compétente qu'un homme, va grandir avec ce stéréotype et ne considérera jamais véritablement une direction féminine comme quelque chose de normal. Alors que, si on laisse une femme prendre le commandement d'un équipage sans que personne ne remette son autorité en cause ou ne l'a sous-estime sous prétexte que c'est une fille, on normalise la situation en la rendant tout à fait banale. C'est exactement comme ça qu'on devrait traiter l'homosexualité au cinéma, non pas en en faisant un "problème" qui dérangera certaines personnes intolérantes, mais en présentant des personnages, caractérisés autrement que par leur sexualité et qui sortent avec des gens du même sexe qu'eux, sans que cela ne pose de problèmes à qui que se soit dans le récit. Certes ce n'est pas représentatif de notre monde réel où les stigmatisations et les inégalités sont bels et biens présentes, mais montrer une société égalitaire et sans discrimination n'est ce pas là le meilleur moyen de normaliser des comportements qu'on aimerait voir se normaliser dans notre propre monde ? Les réalisateurs de La Planète au Trésor le pensent en tout cas, ce qui rend leur unique personnage féminin très réussit.


Malheureusement, malgré toutes ces bonnes idées, le film n'est pas à 100% innovant et c'est peut-être ce qui n'en fait qu'un film sympathique alors qu'il avait tout le potentiel pour être un grand classique de l'animation. Si les personnages principaux et leurs développements ne manquent pas d'ingéniosité, le récit en lui même est des plus classiques voire des plus basiques qui soient. Nos héros arrivent sur l'île, course-poursuite avec l'ennemi, aller-retour pour chercher la carte, bim on tombe sur le trésor, oh non les méchants sont là, oh non la planète explose et hop chacun rentre chez soit fin. Les protagonistes ne font que se déplacer d'un point A à un point B tout du long, les péripéties ne sont jamais surprenantes, tout s'enchaîne tranquillement, sans grande surprise et, même si le film avait suffisamment prit son temps pour raconter son histoire, tout s'accélère à partir du troisième acte, donnant ainsi la sensation d'un dénouement expédié en quatrième vitesse.
Ainsi, une fois la séance terminée, on retiendra surtout l'univers et ses personnages. L'histoire elle est complètement oubliable.


Mais le plus gros point noir se sont les comic-reliefs. Pas moins de trois sidekicks viennent "détendre l'atmosphère" avec leurs pitreries. Le premier d'entre eux est le Docteur Doppler, scientifique dandy un peu gauche et chochotte sur les bords, parfait opposé de la Capitaine dont il tombera éperdument amoureux et qui l'obligera à prendre de l'assurance. Il apparaît comme un perso très sympathique, marrant et jamais lourd. Tout l'inverse des deux autres qui eux, seront dans la plus pure tradition Disney. Bon encore Morph, la mascotte de service malgré son inutilité et ses gags moisis n'est pas non plus horripilant. Mais B.E.N, BEEEEEEEEEN quoi. Ce putain de Jar Jar Binks robotique surpasse de loin tous ses homologues sidekicks de chez Disney. Je préférerais regarder 3h d'un Disney Comedy Club avec Iago, Ritournelle, Mushu, Jamel Debouzze, les statues qui parlent, Sébastien le crabe africain, Triso le lapin, pédé le putois et Kad & Olivier au programme que de me retaper une seule réplique de ce personnage. On le sait, tout ce que touche Lorànt Deutsch se transforme en merde, c'est pour lui un don et pour nous une malédiction.


Une histoire bancale trop vite expédiée et des comic-reliefs lourdaux. Ajouté à ça la qualité technique vieillissante du long-métrage et il n'en faut pas plus pour plomber le film et en faire simplement un petit divertissement sympa avec de bons personnages.
Sans être un bide absolu, le film a cependant fait un score décevant au box office. Jugé trop sombre, trop différent, les spectateurs n'ont pas retrouvé la magie Disney des précédentes œuvres du studio, c'est ce qui l'a fait sombrer dans l'oubli, comme un peu tous les films de cette période sombre.


Après cet échec, Disney Animation tentera un semi-retour aux sources avec Frères des Ours, avant de se suicider avec La Ferme se Rebelle pour se tourner entièrement vers l'animation par images de synthèses. Mais ça, c'est une autre histoire........Que Wikipédieu se fera une joie de vous raconter à ma place.


Dommage que les spectateurs de l'époque n'est pas su accepter ce film pour ce qu'il était. Parce que dans ce trésor d'inventivités moi ce que je regrette le plus, se sont justement les éléments les plus récurrents de Disney.

Alfred_Tordu
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le 1 août 2016

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Alfred Tordu

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