( Attention risque de spoil accru ! )
Considéré comme le meilleur film de Jean Renoir, et par certains, par LE meilleur film français, ce drame fantaisiste, signalé tel quel par un carton explicatif au début du film, fut d'abord un échec retentissant. Pour l'anecdote, le réalisateur expliquera qu'un jour, lors d'une projection, un homme a tout à fait tranquillement voulu mettre feu à la salle. Subversif pour l'époque, acéré, La règle du jeu, livre un point de vue profondément aiguisé et critique sur la haute bourgeoisie de l'époque, ses vices, ses moeurs, son ignorance ( et racisme latent ) parfois ( " La civilisation pré-colombienne ? Ah, encore une affaire de nègres ! "... ), mais également sur le " peuple ", les sous-mains ( domestiques, majordormes, servantes, cuisiniers, ect.... ) qui composent et animent les demeures luxueuses où se sont établis les aristocrates. Il faudra presque attendre 20 ans pour que le film connaisse la renommée qu'on lui connait aujourd'hui.
Car au delà de son humour corrosif et brillant, souvent cruel et hypocrite également, se dégage une humanité comme rarement ressenti au cinéma. Les dialogues à eux seuls, sont de véritables chefs d’œuvres de justesse, où chaque mot semble avoir été choisi avec un soin extrême. Le drame n'est effectivement jamais loin, et les rebondissements à la pelle, souvent d'ordre intimes et amoureux, échappent à toute mièvrerie, tant le ton est lucide. Renoir tente ainsi d'analyser les " raisons du cœur ", leurs existences, tout autant que leurs impossibilités d'être vécus. Les histoires d'amours contrariées, les tromperies, mariages de raisons... Tout y passe, et sont autant de tableaux qui permettent au réalisateur à la fois de poser les bases d'une belle comédie, mais également d'un drame sous-jacent se dessinant au fur et à mesure. Le fameux drame fantaisiste.
La direction d'acteur est exécutée sans aucun répit et avec brio : les acteurs s'enlacent, s'entre-mêlent, à l'image des méandres du scénario. C'est une valse ininterrompu, où la précision de la mise en scène est de mise. Théâtral, quasi vaudevillesque, la fin nous ramène brutalement à la réalité : l'Humanité est violence, et à l'aube de la seconde guerre mondiale, Renoir, pourtant pacifiste, ne peut qu'assister au désarroi d'une société gangrenée.
Magistral de justesse, mêlant humour et drame avec brio, Jean Renoir nous peint une société schizophrène, où les apparences sont reines, où l'humanité se désagrège...Pourtant, il porte comme un regard bienveillant sur les rôles qui composent le film, comme une certitude que l'Humain se définit avant tout par le cœur. Désabusé, mais pas désespéré, justifiant quand même quelques années au compteur, La Règle du jeu reste néanmoins une oeuvre tentant de coller au réel d'une époque, avec une maîtrise sobre, mais efficace tant le scénario et les rôles emmènent le spectateur dans un rythme sans temps morts.