Je le confesse je fais partie de ces amateurs farfelus et inconséquents qui sont capables de mettre moins de 7 à un grand classique et plus de 7 à un film récent.
Je sais, ce n'est pas très honorable.

Pourtant, cette règle du jeu avait tout pour me plaire: critique se voulant féroce d'un milieu considéré comme pourri, et comédie de moeurs légère, pourquoi pas ?

Je n'ai pas pris de plaisir au film pour cette raison simple: l'aspect comédie n'est jamais drôle ni même plaisant, et la critique ne fait pas vraiment mouche. Reste l'aspect technique, sans doute admirable, mais moi, c'est comme en musique: la technique doit être au service de l'émotion ou de l'art, sinon, ce n'est qu'ennui au mieux poli.

La comédie, donc.
Comment s'attacher à quelque personnage que ce soit dans ce vaudeville un peu triste? Sous couvert d'hommage à Marivaux, Musset ou Beaumarchais, il n'y a personne ici dont on se soucie de savoir si la comédie tournera en sa faveur ou dont on souhaite même que le destin lui sera favorable. Tous sont inconstants, lâches, frivoles, sans reliefs. Les acteurs ne sont pas toujours bons (Jean Renoir lui-même, proche du franchement mauvais !) et parfois à contre-emploi (Nora Gregor au charme irrésistible dont tous les hommes sont épris, sérieusement ? Difficile d'y croire quand on est à chaque scène confronté à son charisme de plaque d'égout moderne). Seule Mila Parély tire légèrement son épingle du jeu côté charme, mais son ton emprunté et une voix suraiguë gâtent là encore le portrait.

La critique sociale ?
Là encore, le côté "j'y-vais-sans-y-aller" gâche le tableau. S'ils ne sont pas attachants, ils ne sont pas non plus franchement repoussants, et ce qui aurait pu être un formidable atout (non manichéisme, ambivalence) révèle un plat fade: certes ils sont ignares (voir les questions à propos des études pré-colombiennes de Jackie), certes ils sont inconséquents (les dialogues à l'issue de le scène de chasse sont croustillants) mais après tout leur en veut-on vraiment ? Est-ce qu'on s'en fout pas un peu ? Le marquis est presque le personnage le plus touchant car candidement falot. Il ne s'embarrasse pas de masque et est en cela représentatif de son milieu, on est sans principes moraux mais on ne le cache pas: étrange résonance avec notre époque. Le portrait du général, qui ne cesse de penser que tout ce qui a de la valeur est désormais rare est finalement le plus réussi, sans être tout à fait fin.
La scène de chasse constitue le grand moment, en ce qu'il nous montre chacun sous son vrai jour: cruel sans raison, toxique sans idéologie. Juste par ennui, finalement.

Il y a des films qui font scandales à leur époque car trop en avance sur leur temps, techniquement et moralement. La règle du jeu en fait sans doute partie. Mais peut-être aussi a-t-il été un peu rejeté parce que pas totalement réussi.

Je vous avais prévenu d'entrée: je suis un mécréant sans foi ni loi.
guyness

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