C’est une véritable déflagration. Un récit qui nous saisit de la première à la dernière seconde. Une histoire qui s’ouvre et se ferme sur un pont, véritable témoin triste du temps. Sur un fondu enchaîné sur un visage, nous voilà convié au sein d’un souvenir. Celui de Roy, un officier britannique de la seconde guerre, traversant le Waterloo bridge (qui donne son nom au titre original) un talisman dans la creux de la main. Il se souvient d’y avoir rencontré ici-même une femme, jadis, dans une autre vie, lors d’émeutes en plein pendant les bombardements de la première guerre. Il y a déjà une symétrie, temporelle et géographique. Elle c’est Myra, elle est ballerine dans un ballet.


 C’est donc au moyen d’un immense flashback que s’articule la narration de La valse dans l’ombre. C’est un film en apesanteur. Qui épouse l’état d’esprit de ses deux personnages, magnifique couple tragique, incarnés par deux acteurs au sommet : Vivien Leigh (qui sort d’Autant en emporte le vent) et Robert Taylor. Evidemment, la mise en scène de Mervyn LeRoy et la sublime photo de son chef opérateur Joseph Ruttenberg (Fury, Brigadoon, entre autre) est superbe à tous les égards, mais si le film est un vertige permanent, il leur doit beaucoup. Et notamment à Vivien Leigh, sublime Myra – puisque c’est elle que l’on suit quand lui devient hors champ – dont il est très difficile de ne pas tomber amoureux éperdu, de ressentir chaque soubresauts, enchantés ou désespérés.
Un moment donné il y est question d’une danse dans un café. Il s’agit évidemment de la valse promise par le titre français, cette dernière danse sur Ce n’est qu’un au-revoir qui s’ouvre à la lumière et se clôt dans l’obscurité – toutes les chandelles à mesure s’éteignent – quand les musiciens cessent peu à peu de jouer, que la musique se tut ; et qui peut se voir en parabole du récit tout entier à venir (car on est encore dans le premier tiers) : Cette histoire d’amour, lancée sur un coup de foudre, terminée sur un coup de hache et qui n’aura cessé de s’évaporer à petit feu, à l’image de l’extinction progressive des chandelles, jusqu’à atteindre la pénombre.
Le plus délicat pour un cinéaste, quand il raconte ce type de passion amoureuse contrariée c’est de nourrir une empathie pour ses personnages proportionnels aux dégâts affectifs qu’ils traversent. La valse dans l’ombre y parvient tellement qu’on tremble pour Myra lorsqu’on la voit déboussolée sur ce pont, qu’on pleure déjà quand on comprend ce qu’elle est sur le point de faire. Au risque de me répéter, mais tant pis : Il est rare de se sentir autant en communion avec un personnage au cinéma, de pleinement ressentir la descente aux enfers d’un personnage. Et LeRoy s’y risque avec une pudeur incroyable, choisissant par exemple de laisser la guerre et la prostitution hors champ.
Quelle tragédie c’est de voir Myra s’évaporer physiquement et moralement, constater qu’elle doit affronter sa chute sociale et affective, sous le poids de la tristesse et de la honte. Et refuser, quand il réapparait miraculeusement, de revoir celui qu’elle aime tant elle ne peut supporter d’avoir eu à se prostituer pour survivre – Cette dernière rencontre, tout en regards désespérés, avec une vieille femme sur le pont, est un moment palpable, terrible de rencontre avec le double (à venir) en somme la mort, qui s’évapore d’ailleurs dans le brouillard. La valse dans l’ombre c’est aussi l’histoire d’une conscience torturée vécue via le prisme d’un tragique souvenir. C’est une sorte de mélodrame ultime, rêvé. C’est le film le plus triste du monde.
JanosValuska
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le 7 mars 2020

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JanosValuska

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