Alors qu’on a toujours savouré chez Kore-eda un regard authentique sur son pays, et une tonalité typiquement japonaise dans son appréhension des sujets, le cinéaste au sommet de sa carrière après le succès de sa récente Palme d’Or pour Une affaire de famille s’installe provisoirement dans l’hexagone pour un film on ne peut plus français, réunissant deux de nos actrices les plus prestigieuses. Deneuve et Binoche qui ont par ailleurs contribuer à l’écriture du film, investissent sa thématique de prédilection – la famille, encore et toujours- abordée cette fois par le prisme de nouvelles thématiques : la question sociale est ici évacuée au profit d’une réflexion sur la transmission, le métier d’actrice, le milieu du cinéma et les mensonges par lesquels on construit une légende.
A la faveur de la publication de mémoires bien romancées, la célèbre comédienne jouée par Deneuve se voit confrontée au retour de sa fille qui aura le courage de la mettre face à certaines vérités. Le ton n’est pourtant pas à la tragédie familiale, car le souci d’authenticité du regard du cinéaste (en contradiction volontaire avec les petites manigances de cette petite famille) se fait aussi par la tendresse et les sourires. Le ton, parfois léger, notamment par le relais de la petite fille du personnage de Binoche (la pétillante Clémentine Grenier, qu’on reverra sans doute) retrouve cette façon de capter les moments les plus insignifiants et poétiques du quotidien, notamment dans ce jardin parisien où les arbres de l’automne s’accordent au crépuscule de certaines destinées.
On comprend aisément le lien entre le sujet du récit (une actrice, sa fille scénariste, l’émergence d’une nouvelle comédienne sur un plateau d’un film en abyme) et toutes les nouveautés qu’affronte Kore-eda, qui ne tourne pas dans sa langue ni dans son environnement familier. Ce déracinement exacerbe les réflexions méta sur l’art du mensonge, sur les fragilités qu’on a gommées par l’art de la pose, et sur ces silences qui pèsent. Les nombreuses et parfois laborieuses relations faites entre le film tourné et la « réalité » des personnages ont tendance à empeser la démonstration, notamment dans ce pitch de SF qui voit une femme ne pas vieillir et retrouver sa fille tous les sept ans. L’occasion de surlignages un peu poussifs sur les thématiques, le rapport au vieillissement de Fabienne, l’exhumation de son amie comédienne Sarah réincarnée par une nouvelle comédienne, et la place de sa fille qui la regarde jouer la fille de 73 ans d’une mère qui en aurait 30. Tout cela est un peu farfelu, et s’intègre dans un récit parfois flottant, où l’on coupe des séquences ou des dialogues de manière un peu arbitraire, montage sans doute légitimé par un regard spontané sur des instantanés du quotidien, mais qui ne fait pas toujours mouche. La musique, assez niaise et redondante, n’aide pas non plus.
On échappe tout de même à la rédemption cathartique attendue, les deux protagonistes parvenant à un compromis qui nous rappelle la finesse de l’écriture de Kore-eda : l’actrice restera comédienne jusque dans ses instants de vérité, et la scénariste continuera de recourir à son art du mensonge comme béquille à la complexe vérité des relations. Si ce film reste mineur et semble s’assumer comme tel, il aura néanmoins eu le mérite de réunir deux comédiennes exceptionnelles, dont le jeu assez distincts dit autant de l’histoire du cinéma français que du magnétisme unique de celles qui savent réellement mentir au profit de la vérité.
(6.5/10)