Je vous parle d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître.

En ce temps là, le cinéma français avait une âme. Il respirait, vivait, pleurait, vibrait. Ce cinéma était le cœur battant d’un homme, d’une femme, d’un spectateur.

Ce cinéma n’avait peur de rien. Ni du ridicule. Ni du vulgaire. Ni d’innover. Ni d’exister.

Il savait dire la tendresse profonde de l’être humain. La dire vraiment, sans violon ni pathos dégoulinant.

Il avait ses coups de gueule. Et conséquemment ses gueules. Telle la gueule de Philippe Noiret. Burinée, marquée par cette vie qui ne fait pas de cadeau, qui fait d’un garçon un homme. Il y a tant à lire sur ce visage. Tant à apprendre de ce personnage, si riche, si bien interprété qu’on en vient à oublier qu’il n’est que fiction.

Faible. Troublé, indécis, touchant. Face à une femme, ce rude bonhomme voit se fissurer sa carapace. Il n’en est que plus vrai.
On le comprend.
Il fallait du courage et surtout beaucoup de talent pour donner la réplique à Philippe Noiret. Parfaite d’un bout à l’autre, juste et inspirée, Sabine Azema s’acquitte à merveille de cette lourde tâche.
Plus discrète, c’est le rôle qui veut ça, mais tout aussi sure d’elle, Pascale Vignal vient équilibrer ce trio haut en couleurs et trouve sa place entre deux acteurs au sommet de leurs talents.

Noiret est grand. Habité comme jamais par un rôle complexe, subtil, démesuré. Il a besoin d’espace.
Et cet espace lui est donné bien sûr.
La caméra de Bertrand Tavernier fait des merveilles. Tantôt contemplative, tantôt prise de folie, entraînant acteurs et spectateurs dans cette folle course qu’est la vie. Résolument moderne, tout comme la photographie, elle évite la stigmatisation temporelle de l’œuvre et lui confère une forme d’universalité.

Mais Tavernier ne filme pas simplement des femmes et des hommes, si beaux soient-ils. Il filme un pays, une époque mal connue, des mœurs et des coutumes.
La vie triomphe une nouvelle fois.
Cette vie que l’on entrevoit au détour d’un plan large ou d’un innocent travelling. Le souci du détail, le travail sur les décors, sur la figuration et le colossal effort documentaire donnent vie à cette communauté.
L’immersion est totale, parfois douloureuse, parfois troublante, toujours émouvante.

Ce film est une ode à la vie.
La vraie vie.
Il n’est point question de la larmoyante image d’une vie de souffrance telle qu’on a pu la voir trop souvent.
De ridicule naïveté non plus.
Il est ici question de cynisme, de faiblesse, de beauté, d’horreur, de rêves et de désillusions, de chimères, de courage, d’amour, de peur, d’espoir et d’une palette infinie de sentiments.
Le tout offert sur pellicule à la postérité.
Bravo l’artiste.
-IgoR-
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le 11 avr. 2014

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-IgoR-

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