Ce film accomplit avec brio un exercice de style particulièrement difficile, à savoir faire du Holmes sans Doyle. En effet, dès les premières minutes la voix-off de Watson nous indique que le récit qui va nous être relaté a été caché par ses soins pour un temps donné. Ainsi, le réalisateur fait quelque chose de très intelligent à mes yeux, il avertit les holmésiens qu'il se détache du canon en proposant sa propre partition sur un thème de virtuoses.
Et étant un peu holmésienne et plutôt fanatique je dois avouer que Billy Wilder a fait du presque-bon travail.
Le film est assez long puisque la première partie nous replante le décor des aventures de Baker Street. Les références sont nombreuses, l'appartement est trop propre, Holmes est un peu trop frivole et presque assez méprisant à l’égard de Watson. Là encore, on comprend ce qu'il se passe lorsque le détective critique Watson sur sa façon de romancer ses histoires et sur sa manière de déformer les faits (chose inconcevable pour le vrai Holmes diront certains). Définitivement les besoins du film (notamment ce choix de mettre pas mal d'humour) passent avant les bases canoniques de l’œuvre.
L'histoire est par contre assez fidèle à ce qu'aurait pu proposer Doyle.
Une série de situations qui se succèdent avec des liens qui se tissent peu à peu. Ceux qui observent au lieu de regarder prendront plaisir à retrouver le petit jeu du "vais-je trouver avant la fin" que beaucoup de lecteurs ont pratiqué.
Les acteurs sont parfois un peu grotesques mais ça donne finalement un charme assez désuet à l'ensemble et on est heureux de croiser quelques personnages emblématiques tels que Mycroft ou Wiggings.
Deux bémols viennent assombrir le tableau:
-la présence du surnaturel était une belle tentative et elle est même annoncée dès les premières minutes durant lesquelles une référence est faite au Chien des Baskerville (avec une petite once d'humour tout à fait spirituelle). Et là vient la première grosse erreur. Le chien de Baskerville est la seule nouvelle où, confronté au surnaturel, Holmes manque de perdre la partie. Du coup, quand on comprend que la suite se déroulera en Ecosse, l'effet d'annonce est un peu gros et le dénouement pas du tout au niveau du récit auquel il tente de faire écho (Fallait bien une Nessy pour battre " The hound").
-Le deuxième bémol est juste une hérésie. Non sérieux, même en prenant des gants en nous annonçant de multiples façons que le canon ne sera pas respecté c'est inadmissible. Et pire, je pense que Wilder le savait et que c'est pour ça qu'il a mis de la distance par rapport aux grands piliers sur lesquels reposent les histoires de Sherlock (je le soupçonne même d'avoir voulu éviter de se faire tuer par les fanatiques susmentionnés).
Bref il est inconcevable que le personnage d’Ilse Von Hoffmanstal existe et berne notre détective préféré. Non. Jamais. Hors de question. Hérésie. Au bucher. Et pourquoi me demanderez-vous?
"To Sherlock Holmes she is always the woman"... Irène Adler est et restera LA seule femme ayant jamais défié et vaincu Sherlock. LA seule femme à avoir des droits sur ce qui doit se rapprocher le plus de sentiments chez lui. Comment le sait-on ? Parce ce que c'est la PREMIÈRE PHRASE DE LA PREMIÈRE FUCKING NOUVELLE des Aventures de Sherlock Holmes! Juste le recueil sur lequel est basé tout le scénario.
Et inutile de vous dire que la miss Von Hoffmanstal n'arrive pas à la cheville de la grande Irène en termes de charisme et d’intelligence (je ne vais même pas développer sur le coup de l'ombrelle qui est tellement téléphoné et qui ne tient pas debout).
Une fois ces deux choses dites, il n'en reste pas moins que le film est très bon et pourrait correspondre à du Doyle. Mais avouons le, ce n'est pas la première écriture post-Doyle et même imparfaite une aventure de Holmes reste précieuse !