Pas très bien reçu à Cannes, le dernier film de Paolo Sorrentino a pourtant tout ce qu’il faut pour séduire et même emporter le spectateur. A la découverte de Rome, la vision pleine de nostalgie du réalisateur nous permet de découvrir avec tour à tour stupeur, agacement, compassion et révolte la pensée d’un intellectuel raté à l’aube de ses 65 ans. Une vraie réussite qui tient grâce à un casting impeccable et une réalisation légère et gracieuse.

Jep se veut jeune mais Jep est vieux. Et il se rend compte alors que ses amis font la fête pour son soixante-cinquième anniversaire qu’il est passé à côté de sa vie. Il regrette ses aspirations de jeunesse et voudrait pouvoir tout recommencer. Donneur de leçons parfois cruel, il déambule dans la grande Rome à la recherche d’un sens. A quoi on ne sait pas forcément, si ce n’est qu’il voit enfin d’un œil critique une société pleine de vacuité se nourrir d’une ville au passé grandiose, mère de toute une culture et beauté absolue.

Comme lui la caméra virevolte, dans les allées de Rome et comme lui elle observe sans juger. Elle constate ce qu’elle voit, l’analyse et le redistribue au spectateur à la fois amusé par la décadence d’une haute société qui n’en vaut pas forcément la peine et agacé par tant d’idiotie. Jep voulait avoir le pouvoir de gâcher les soirées, c’est chose faite. Pourtant son véritable talent, celui de l’écriture, il l’a gâché. Il se sait identique au monde qui l’entoure et pire il sait que ce monde est universel. Satire sociale, ce bout de vie court et intense amène le spectateur à se reconsidérer et surtout à avoir un regard critique sur son propre mode de vie.

En cela, le film est universel et doit pouvoir toucher tout un chacun. La bande-son est touchante et tous les personnages sont là pour représenter quelque chose. Même la pseudo artiste dont Jep doit faire l’interview et qui vide de sens jusqu’à la représentation théâtrale la plus basique est là pour rappeler que nous sommes tous affectés par ce que Jep est en train de vivre. Il a pour lui de pouvoir prendre du recul et ne fait aucune concession quant à ce qu’il comprend des situations qu’il vit et grâce à cela, on peut plus facilement aborder sa vie.

Sans le connaître, on est intimement lié avec lui, comme un grand-père désabusé qui aurait trop vécu et qui fait passer le savoir à sa descendance. On prend une claque et on cherche à savoir pourquoi. Pourtant, même après deux visionnages, il est toujours difficile de saisir tout ce qu’il se passe, des situations absurdes et cocasses au simple repas entre amis. La religion, la politique, le monde du divertissement, le cinéma, les femmes, les hommes, la mode, la mauvaise foi et la maladie. Tout y passe et c’est difficile de l’accepter. Sans jamais bâcler tel ou tel sujet, Paolo Sorrentino pose les bonnes questions pour mieux perdre le spectateur dans le dédale des rues romaines.

Voilà pourquoi sans doute, il est dommage de voir que le film n’a pas été reconnu à Cannes pour ce qu’il est : un immense film. Comme pour Jep, la note qui accompagne cette critique est dans la démesure et la simple constatation. Quand un film réussit à émerveiller le spectateur et le force à réfléchir sans lui faire quitter le monde de son héros, alors c’est qu’il a ce qu’il faut pour faire partie du Cinéma. Toni Servillo en Jep est magnifique et mégalo. On l’adore et il ne nous juge pas. Ce qui ne l’empêche pas de nous voir. Clairement.

La Grande Bellezza est définitivement l’un des meilleurs films cette année. Bravo donc et merci.
Carlit0
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le 2 juil. 2013

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Carlit0

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