Un sang neuf fait jour au cinéma depuis presque trois ans déjà avec l'arrivée massive de premières oeuvres étonnantes, percutantes et fascinantes venant troubler le train train d'une production vieillissante. Cela se constate sur tous les continents, mais la France se pose en fer de lance tant les sorties sont multiples . Rien qu'en 2018, en deux mois et demi sont sortis "Jusqu'à la garde", "Les garçons sauvages" et là, "La nuit a dévoré le monde". Trois films marquants (que l'on apprécie ou non) par l'originalité de leur expression cinématographique. Si l'on ajoute à cela le russe "Tesnota" et le danois "Winter brothers". On se dit qu'une évolution des mentalités ou la manière d'appréhender le récit est à constater, esquivant un peu le traditionnel savoir faire, déroutant le savoir tourner. On ne peut parler à proprement dit de nouvelle vague, chacun allant dans son sens et vers ses envies de film. On constatait pareil phénomène dans les années 70 avec la confirmation ou l'arrivée de réalisateurs tous aussi différents les uns que les autres, mais tournant différemment au service de films plus proches du quotidien, des problèmes sociaux et surtout moins conceptuel que ceux de la nouvelle vague. Emergent alors Sautet, Gavras, Tavernier, Enrico, Blier, Téchiné pour n'en citer que quelques uns. Un éclectisme d'auteurs, un souffle nouveau pour le cinéma français. Ce n'est peut-être ici que fétu de paille, ou pure coincidence, toutefois ce changement s'avère nécessaire.


Mais revenons en à "La nuit a dévoré le monde" et la manière dont Dominique Rocher s'approprie le mythe Zombie pour en extraire une réflexion existentialiste complexe.


Deux niveaux de lecture sont donc envisageables. Le premier consiste à n'y voir que le premier degré, le film classique où la population décimée mystérieusement se transforme en morts-vivants. Nous serions ici entre le film de Zombies type et le Survival le temps se partageant sur les deux thématiques. L'amateur du genre sera déçu car bien que plus vifs, les zombies sont moins horribles que certains déguisements que l'on croise un soir d'Halloween, et le contexte leurs donne peu de possibilités d'exprimer leur appétit contrairement à un "R.E.C" où tout se jouait dans l'immeuble.


On pourrait se contenter de cela si certains choix de mise en scène ne venaient pas contrarier l'affaire, notamment en ce qui concerne le côté accessoire des zombies. Leur présence et donc le contrôle dune ville désertée ne sont en fait qu'un contexte, un risque. Ce qui intéresse Rocher, c'est de montrer comment l'homme Sam va réagir en pareille circonstance, le monstre (le zombie) miroir déformé de notre condition étant mis aux rebuts. L'intérêt du film repose donc sur la conséquence au détriment de la cause. Autrement dit, comment l'humain en situation d'apocalypse saura engendrer la survie et recomposer les dogmes faisant fi de l'ordre moral, philosophique ou religieux existants jusque-là.


A pareille catastrophe, deux solutions s'imposent. Soit l'on se calfeutre jusqu'à... car on ne peut rien y faire ou on tente d'avancer en cherchant d'autres personnes dans le même cas ou une voie de salut. Sam choisit la première et l'on va suivre son quotidien étape par étape.


Comment survivre ? Sam, seul maître de son destin, s'organise non pas sur la base d'un vécu mais compte tenu des apparences. C'est le retour aux sources. A commencer par les besoins vitaux se défendre, se nourrir, se maintenir en forme. Il faut aussi préserver une once d'humanité qu'à cela ne tienne, il s'organise (inventaire, planification...) et se donne à des activités pour passer le temps (création musicale, sport...) enfin il instaure de nouveaux codes (rite funéraire
notamment). L'humain calme son angoisse (comment vivre comme cela) à défaut de pouvoir lutter contre la peur (les zombies).


Cette assurance qui grandit de jour en jour est magnifiquement mise en image et se renforce dans la relation à l'autre entre Alfred le zombie qu'il domine et se délite face à Sarah l'autre survivante qui le confrontera à nouveau aux peurs mais lui apportera une forme de salut.


C'est une véritable approche philosophique que nous propose Dominique Rocher bien authentifiée dans le texte que dans les moyens. Ce combat permanent entre l'angoisse d'être vivant et la peur de se faire contaminer est souligné par une bande originale très particulière et très recherchée. De manière plus générale, le son tient une place incontournable dans le déroulé du film. Entre silence, bruits sourds et stridences la tension est permanente. Les prises de vue participent aussi aux ambiances notamment en ce qui concerne la luminosité très réaliste et bien cernée entre les deux mondes au point de se confondre à un moment. Quant à Anders Danielsen Lie qui incarne Sam, son jeu épuré, son accent et sa fine silhouette ajoutent un certain mystère à l'ensemble et lui donnent toute sa crédibilité. Et bien que dans des rôles très courts, Golshifteh Farahani et Denis Lavant nous offrent deux portraits saisissants de l'humain ou ce qu'il fut.


On l'aura compris, "La nuit a dévoré le monde" possède de très grandes qualités et dépasse le seul cadre du film zombiesque. Et les quelques défauts en marge ne privent jamais d'en apprécier toute la valeur. D'autant plus qu'il s'agit d'un premier long métrage totalement assumé et fortement décomplexé. Dominique Rocher est un nom à retenir, qui devrait faire très vite parler de lui à nouveau. On lui doit déjà l'idée du film "Dans la brume" qui sortira le 4 avril, mais reste à parier que le second film sera de toute autre nature et tout aussi surprenant.

Fritz_Langueur
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le 14 mars 2018

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Fritz Langueur

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