Le parti pris scandaleux de la mise en scène est de réaliser une hagiographie de Larry Flynt. Cette démarche est illustrée par l'affiche polémique du film. Forman s’emploie à l'appliquer à l'opposé de ce qu'on entends par "saint" puisque Larry Flynt est un débauché aux sens du christianisme. A l'ascétisme des saints est substitué le faste kitch et baroque du mode de vie du pornocrate. Le film renoue alors avec l’origine du terme de pornocratie qui désigne initialement le gouvernement des putains sous la papauté.


Cette vie est traitée selon les étapes propres de la vie d'un saint. Il est béni par le ciel puisqu'il connaît la réussite en affaires comme en amour. D’origine modeste, sa foi dans les valeurs de la liberté sexuelle est totale. Sa vie est néanmoins ébranlée par deux combats intimement liés.


D'abord contre la maladie, puisqu'il est fait paraplégique à la suite d'une tentative d'assassinat ce qui le prive de sa force vitale, sa virilité, moteur de sa réussite et de ce qui a le plus de valeur à ses yeux. En ce sens, il est un martyre, mis à l'épreuve par les événements. Sa souffrance est autant physique que psychique, et le film montre cette déchéance à travers son déchéance progressive.


S'il est privé de sa force physique, son esprit et sa force provocatrice reste intact. Son attitude, ses mots, et les images qu'il propose permettent à son combat de continuer. Celui contre les forces réactionnaires de l’Amérique (morale et ordre public). Ce combat culturel et politique se joue essentiellement dans l'arène civilisée des cours de justice, écho ironique à la fausse aux lions des romains évoquée dans le film.


Forman et le spectateur est amené à épouser ce combat, dont il est fait une présentation évidemment déséquilibrée. La réalité des événements et la personnalité de Flynt sont remodelées pour adhérer à ce projet esthétique. Les péripéties sont simplifiées et le héros, pornocrate sans scrupules, est présenté sous un jour essentiellement positif. Il n’est jamais question de Flynt en tant que marchand de l’image de femmes exploitées à des fins capitalistes (sauf une scène). Les pin-up sont plus que consentantes à poser et conformément au mythe libéral (classique comme contre-culturel), la liberté ne dérape jamais en exploitation d’autrui.


C'est la contradiction qui se niche au cœur de l'histoire de Flynt, la convergence de la recherche du profit avec la vertu. S'il est sincère dans sa démarche libertaire, l'activité de Larry Flynt est essentiellement mercantile, ce qu'il admet sans problème. Incarnerait-il alors une forme d'idéal américain premier dans lequel la poursuite de l'intérêt individuel et du profit s'accorde avec les valeurs démocratiques de libertés fondatrices de la démocratie ?


Les épreuves qu'il surpasse (maladie, drogue, prison, persécution, deuil) ne nous laisse pas le choix que d'adhérer à sa personne et à sa cause. Mais de quelle religion Larry Flynt est-il le saint ?


Dans une démarche typiquement américaine, le film remet sur un pied d'égalité ses grandes institutions : la liberté, l'argent, la religion, le sexe et la loi. Si le héros est un businessman, c'est aussi le cas de ses adversaires défenseurs de prétendues valeurs morales. Jerry Falwell est un homme d'affaires, qui vends une "soupe" différente. Le business de l’un est sa religion tandis que la religion est le business de l’autre.


Ironiquement, le film regorge de scènes de grandes messe populaires qui célèbrent des valeurs différentes, à l’église (la morale chrétienne), au congrès pour la liberté de la presse (la liberté d’expression) et dans les tribunaux (la loi), où chacun attend sagement le sermon du juge sur son banc.


La véritable religion de l’Amérique décrite par Milos Forman, semble être la liberté (d'expression entre autre). C'est la valeur refuge d'une société dont les autres valeurs, contradictoires sont en tensions permanentes. Cette valeur "première" leur permet de cohabiter dans ce qui est un enfer pour les uns, un paradis pour les autres et un endroit un peu étrange pour nous autres européens comme Forman. Le résultat est, conforme à l'histoire d’Hollywood, profondément américain en ce qu'il est la vision d'un immigré européen, renouant ainsi avec les racines de l’Amérique.


Enfin, la dernière messe, implicite ici, c’est le cinéma. Si la liberté, valeur suprême de la société américaine, permet de tout montrer, le projet de faire un film vantant la vie du pornocrate Larry Flynt est l’illustration ultime de ce droit au blasphème, le geste, contradictoire en son cœur de Forman devient en ce sens religieux et nous sommes conviés à la cérémonie.

Brock_Landers
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le 21 avr. 2020

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