On ne fera pas l'affront, ni ici ni ailleurs, de présenter Steven Spielberg. Le gars a défini à lui seul ou presque le Hollywood blockbusteresque des années 80-90, et classe facilement une petite dizaine de ses films parmi les plus marquants de l'Histoire du cinéma. Aujourd'hui encore, son empreinte est manifeste parmi la nouvelle génération, de J.J Abrams à Jeff Nichols, en passant par Rian Johnson.
Cette aura rend difficile la critique de toute sortie spielbergienne, comme si la signature de certains chefs-d'oeuvre lui conférait un totem d'immunité à vie contre l'échec. Peut-on critiquer le Géant, grand parmi les grands ? Après Le Pont des Espions, bon mais oubliable car anecdotique, c'est justement Le Bon Gros Géant qui fait figure de test pour répondre à la question qui fait mal et qu'on avait vraiment pas eu envie de se poser : Tonton Spielberg a-t-il perdu son mojo ?
Désolé, ça fait mal de s'en rendre compte, mais la réponse est oui. Le BGG est un bel accident industriel dans la filmo quasi irréprochable de ce grand Monsieur. Ironiquement, alors que les bande-annonces faisaient redouter le pire au niveau des effets spéciaux, c'est pourtant bien la seule chose qui fonctionne dans ce film. La motion capture de Mark Rylance est en effet plutôt convaincante, et le reste des effets spéciaux aussi (malgré le design un peu daté des autres géants). Du reste, c'est un bon gros ratage – un BGR, quoi.
Ce qui frappe en premier lieu, c'est l'incapacité totale de Spielberg à rendre son film transgénérationnel. Ce qui, pour le papa de E.T et de Jurassic Park, est un comble. Le BGG s'enferme dans une histoire très enfantine, qui n'a pas grand intérêt quand on est adulte (là où E.T par exemple offrait une niveau de lecture plus mature sur le deuil). Adulte qui restera de marbre devant les blagues « à la Jar Jar Binks », convoquant des prouts et des gamelles qui ont, franchement Steven, désolé de le dire, deux siècles de retard. Mais plus grave encore, il y a fort à parier que les enfants, cibles manifestes de ce BGG décidément bancal, se fassent chier comme des rats morts.
Le film souffre ainsi d'un énorme problème de rythme, s'attardant dans des dialogues inutilement bavards et très mal écrits, et passant à la vitesse de l'éclair sur des scènes qui auraient pu prendre de la gueule si tant est que Spielberg ait été inspiré (par exemple, le film se concentre un bon quart d'heure sur l'histoire avec la Reine d'Angleterre – la préparation du rêve, l'implantation, la timidité du Géant.. - et à peine une minute sur la résolution de l'intrigue avec l'armée et les Géants). L'absence d'enjeu, certes déjà présente dans le roman de Dahl, renforce le sentiment de voir un long-métrage soporifique, dégoulinant de niaiserie numérique, n'ayant jamais le début d'un commencement de cette magie spielbergienne qui a bercé nos enfances respectives.
Le problème c'est que la force de Spielberg, c'est d'être un inventeur. Il crée, les autres copient : c'est comme ça que le monde hollywoodien a fonctionné dans les années 1980-1990. Quand Steven Spielberg sort Indiana Jones, il crée un sous-genre à lui tout seul, un nouvel archétype de cinéma, qui hante encore les productions actuelles. Aujourd'hui, on dit du Pont des Espions qu'il est un « bon film d'espionnage » parmi d'autres. C'est dire à quel point Spielberg a arrêté de révolutionner quoi que ce soit.
Idem pour Lincoln, film à Oscar par excellence, ou Tintin, sympathique mais oubliable.
Avec le BGG, le constat s'aggrave, parce que c'est la première fois qu'on peut carrément dire que le film n'est pas bon, et qu'en plus, Spielberg niveau réalisation n'y invente rien de nouveau, tournant avec ses gimmicks habituelles. De là, on peut se poser une autre question douloureuse : Spielberg a-t-il chopé le syndrome Zemeckis ? Le Syndrome Zemeckis, c'est-à-dire que comme Robert, Steven serait incapable de passer le cap de son propre golden age (1984-1994, soit de A la poursuite du diamant vert à Forrest Gump, pour Zemeckis, 1975-1998 pour Spielberg), et s'encroûte dans des semi-flops successifs, bien loin des chefs d’œuvre cultes qui lui ont conférer un nom. Soyons honnêtes, pour Spielberg, vieillir est moins dur que Zemeckis. Mais tout de même. Depuis quand Spielberg n'a-t-il pas frappé un grand coup ? D'aucun dirait 2002, avec le petite perle Arrête moi si tu peux, qu'on avait pas vu venir. Mais sinon, rien de bien fou dans la filmo de Tonton Steven depuis Le Soldat Ryan ou Amistad...
Au final, peut-être que Spielberg est à l'image du BGG, un géant finalement assez petit dans un monde cinématographique qui l'a dépassé, un réalisateur imparfait, et qui fait des erreurs, attendant d'être surpassé par ses élèves spirituels et les nouveaux maîtres du blockbuster (Christopher Nolan en tête)...
Mais qu'on se rassure, Spielberg a de la ressource. Avant de l'enterrer définitivement, attendons son prochain long-métrage, et n'oublions pas que quand on a fait Jurassic Park, on mérite toujours une seconde chance. Même si ça fait 15 ans qu'on attends son (vrai) come-back.