En regardant le beau mariage, je me suis rappelé à mes premières impressions (il y a de cela une quinzaine d’années) suscitées par le cinéma de Rohmer : lassitude ponctuelle face à certaines réflexions, intéressantes par ailleurs, mais artificiellement amenées, trop facilement débitées, sonnant faux et trop méditées pour sembler naturelles ; défiance entraînée par la théâtralité de certaines scènes et acteurs, ces derniers d’ailleurs souvent issus du théâtre; dégoût provoqué par ces quelques conversations amoureuses féminines de feuilletons télé (du style : Jean-Louis qui aime Mathilde qui est mariée avec Bertrand qui trompe sa femme avec Bernadette qui est la sœur de Justine qui elle va se marier avec le boucher etc etc jusqu’à l’écœurement) ; agacement causé par ces entremetteuses qui n’ont rien d’autre à foutre de leur vie ; enfin et surtout, grosse envie de fermer le clapet à ces insupportables hystériques et de les ligoter quelques heures dans la garde-robe, le temps qu’elles se calment un peu.
Pas grand-chose n’a changé depuis, semble-t-il.
Bon, ce n’est pas tout à fait vrai. Il a fallu apprendre depuis lors à voir l’autre côté des choses. Rohmer, sans un denier ou presque, bien calé sur un scénario d’une apparente simplicité mais à la complexité naturelle avec ces récits qui coulent de source, sans s’encombrer de vedettes confirmées, trop faciles garantes de succès, mais avec des personnages bien bâtis, sait tourner un film qui tient la route, qui nous intrigue, nous emmène insidieusement d’un lieu à un autre avant de nous ramener vers le point de départ, toujours maître de son sujet, de sa forme et de son verbe généreux (donnant parfois naissance à des tirades géniales, comme celle de Dussolier dans son cabinet d’avocat), prenant le pouls sociologique, psychologique et, dans une moindre mesure, esthétique de son époque.
Une conversation de salon, diront certains, entre langue de boudoir, discours pompeux et réflexion vaine et stérile ou, diront d’autres, un art de la rhétorique, entre liberté déclamatoire, joutes verbales et pouvoir séducteur et trompeur des mots.