Le Beau Mariage fait partie de ces excellents Rohmer insoupçonnés. Situé entre La Femme de l’Aviateur et Pauline à la plage dans sa filmographie, il synthétise la construction diététique du premier et le marivaudage léger du deuxième pour être un film où Rohmer tout entier livre la quintessence de son cinéma et de sa motivation morale.

En effet, Sabine, jeune étudiante, va décider un jour de quitter son amant et de faire un « beau mariage ». Cette idée de beau mariage est importance, car dans son esprit, elle est le moyen et la réponse d’échapper au modèle social qu’elle juge médiocre. Ainsi, elle jettera son dévolu quelques scènes après sur un avocat brillant car ce dernier fait de par son métier et son appartenance sociale (Sabine dira à son amie Clarisse qui est la cousine de l’avocat, « nous ne sommes pas du même milieu ») fait figure de parfaite proie. Cette impulsion à laquelle elle se consacrera corps et âme est l’occasion pour Rohmer de dépeindre un caractère nouveau, celui d’une jeune femme qui veut poser acte de résistance.

Le film est très dialogué comme toujours et in fine l’avocat n’y est pas très présent sauf aux scènes clés qui vont permettre au récit de s’impulser autour d’elles. Cette intelligibilité du récit serait bien pauvre sans la mise en scène de Rohmer qui va filmer - et de façon merveilleuse - autant de lieux qui vont représenter chaque partie de l’espace mental de Sabine. Cette dernière va révéler au cours de ces dialogues autant d’impulsion que d’illusion, et ses multiples allers-retours entre Le Mans, Paris et Ballon vont contenir un bloc de possibilités infinies quant à la tenue de sa vie, de son travail ou bien de cet hypothétique mariage. La gestion du temps révèle l’amertume, voire la cruauté dans lesquelles Sabine a choisi délibérément de se plonger, ce qui confère une nouvelle fois la hauteur morale que prennent les actions dites banales des personnages chez Rohmer. Au fil de ses films, son cinéma s’apparente à un cinéma de la révélation, où après laquelle subsistent l’échappée et les nouvelles possibilités.

Celles-ci ne se trouveront que dans les toutes dernières secondes du film (et dans un train, sorte de fil conducteur qui renvoie à la première scène pour ici conclure la boucle) où Sabine fera le choix de s’assoir auprès d’un inconnu, celui qui était assis un plus loin dans la rangée au début du film. Cette fin puise sa beauté dans la certitude du destin et dans l’amour et l’attention portées par Rohmer à ses personnages. C’est un grand film d’apprentissage, passionnant et injustement oublié, pierre angulaire de son immense oeuvre.
Tanguydbd
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le 26 juil. 2014

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