Trois personnages, trois forces différentes, trois façons de mener la danse à tour de rôle jusqu’au tango final, qui déterminera celui qui emportera le magot de l’énigmatique Bill Carson. Le Bon, la Brute et le Truand est un jeu de rôles où les positions s’inversent à une vitesse vertigineuse, où le bourreau devient la victime, et où personne n’a jamais la possibilité d’être fidèle aux fonctions arbitrairement attribuées dans le titre. Le truand suit une quête obsessionnelle quasi-héroïque, la brute revêt les galons et l’autorité d’un officier respectable, le bon ne l’est pas du tout. A leur instar, les péripéties elles-mêmes révèlent des personnalités à facettes, passant du périple cruel et désenchanté (blondin marchant christiquement sous un soleil de plomb; le spectacle désolant du massacre de soldats nordistes ; Blondin offrant son cigare à un mourant) au rebondissement sérialesque et jouissif (une diligence surgit en transportant les secrets d’un trésor caché; Tucco découvre soudain la cachette de l’or dans un gigantesque cimetière ; le cigare de Blondin sert à immédiatement après à allumer la mèche d’un canon), et inversement! Le film lui-même est une aventure picaresque et survoltée comme on en fait plus, drôle, trépidant, poignant et violent, mais aussi une réflexion sur les idéaux et la confrontation d’intérêts personnels (la chasse au trésor) avec des enjeux politiques d’envergure (la guerre de sécession). On ne peut aujourd’hui s’empêcher de penser à Une Balle dans la Tête, dans lequel John Woo a rendu un hommage très appuyé au maître italien, lequel traitera à nouveau ce sujet, avec moins de bonheur, dans Il était une fois la révolution.

Fort d’une histoire constamment surprenante et sans temps mort, Leone nous livre un condensé de son œuvre, passée et à venir. Tout y est, des longues expositions anté-duels à l’intégration de la musique dans le scénario lui-même(l’orchestre couvrant les passages à tabac comme l’harmonica réactivera plus tard de douloureux souvenirs), en passant par les considérations humanistes en longs plans séquences compatissants. Tous ses seconds rôles emblématiques (le petit vieux variablement épicier ou chef de gare, les tueurs Goyesques, le gros lard sadique) et ses meilleurs procédés narratifs s’y sont donné rendez-vous. Le résultat est forcément son film le plus culte, et un chef-d’oeuvre impérissable, servi par trois acteurs magistraux. Lee Van Cleef, glacial et paradoxalement hilarant par l’impression qu’il donne de ne pas jouer dans le même film que les deux compères, semble, ce n’est peut être qu’une impression, plus à l’aise que dans Et pour quelques dollars de plus où son humilité et son sens de la justice dénotaient avec son regard perçant et cruel. Ici, pas d’hésitation, c’est une ordure! Elli Wallach fait un numéro unique en son genre qui éclipse d’un coup le reste de sa carrière, ormis son rôle de chef de bande dans Les Sept Mercenaires. Eastwood, enfin, le seul à ne pas vraiment surprendre après ses deux précédentes interprétations de l’homme sans nom (dont on prétend que cet opus en constitue en fait la préquelle), n’ouvre la bouche que pour sortir des répliques d’anthologie. A eux trois, c’est la Dream Team!

Alors, oui, ce film offre des scènes déjà vues dans le reste de la filmo de son auteur...sauf une : la démentielle scène du cimetière, où Tucco découvre la tombe d’Arch Stanton. Conçue comme un film dans le film, Leone s’y affranchi de toutes les attaches au reste du métrage pour bâtir en cinq minutes un micro univers aux règles spatio-temporelles autonomes. Le vertige s’empare du spectateur comme d’Elli Wallach , tandis que la spirale de la séquence, bâtie en trois temps et deux climax (!), nous enveloppe pour une expérience sensorielle unique dans les annales du cinéma. C’est si bon qu’on en oublie l’astuce narrative qu’elle représente : en étourdissant l’assistance par ses ahurissants panoramiques circulaires, Léone lui apporte le plan final de la tombe enfin découverte comme un apaisement, et évite ainsi de se justifier sur l'improbabilité qu'une sépulture en particulier puisse être trouvée en si peu de temps au sein de ce gigantesque cimetierre.

Pour le reste louons une VF extraordinaire et bien sûr l’inestimable Ennio Morricone, qui devrait être crédité comme co-réalisateur tant la respiration de ses partitions a guidé la construction et le montage du film.Le Bon, la Brute et le Truand est un film trop important pour qu’on le cantonne au style western spaghetti, dont on peut estimer qu’il est constitué d’oeuvres plus mineures initiées par Django de Sergio Corbucci. Le mot de la fin (merci Malick): ''Ce monde est divisé en deux catégories, ceux qui ont une idée à chaque plan, et ceux qui font un bon pompage tous les deux films''. Leone a su d’emblée choisir son camp.
asano
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le 21 oct. 2012

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asano

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