Un cimetière. Mais pas n’importe lequel, celui de Sad Hill, possédant une tombe contenant elle-même une fortune, emplacement révélé par un pauvre bougre avec le nom sur le bout des lèvres et la mort au bout du chemin. Mais au milieu de ce cimetière, sur une place funèbre recouverte par le sable et survolée par les âmes des défunts, se trouvent trois hommes, trois silhouettes, trois ombres, enveloppées dans des caches poussières crasseux ou des poncho poussiéreux, chacune à l’opposé des deux autres, prêtes à dégainer et à envoyer l’adversaire sucer les pissenlits par la racine.


Tout d’abord, nous avons Sentenza, mercenaire froid, calculateur et insensible dont la fourberie n’a d’égal que son habileté au pistolet. Catapulté un peu par hasard dans cette traque à travers l’ouest américain, il va se faire passer pour passer pour un lieutenant nordiste, rôle lui permettant malgré tout d’exercer une partie de sa personnalité réelle, passant à tabac un Tuco incapable de donner les réponses que l’agresseur attend, le tout sur un fond de musique d’orchestre funèbre, les notes sifflantes d’harmonica n’étouffant aucunement ni les cris de douleurs, ni le fracas dont il est la conséquence. L’uniforme est bafoué, les valeurs prônées par le capitaine Harper aussi, lui, pauvre dirigeant militaire habité par un humanisme certain, remettant en cause les méthodes brutales de son subalterne. Mais tout ceci n’a plus de place ici-bas, ces manières ne pouvant plus être, au mieux, un bel emballage décorant une vie au moins aussi sordide que la mort qui marque son point final.


Vient ensuite Tuco, brigand drôlatique, escroc à la petite semaine à l’odeur et à l’allure aussi agréables qu’un débat Trump/Biden. Ce dernier, alternant vis à vis de Blondin entre le rôle de complice, celui de tortionnaire ou encore celui, nettement moins avant avantageux, de dominé, apporte une petite touche d’humour bienvenue, bien que faisant, ne serait-ce que sur le moyen terme, l’inverse de l’effet recherché, accentuant la tension de cet univers par sa nature ou le contexte dans lequel il s’inscrit. Mais loin d’être un simple argument humoristique, le personnage s’avère être beaucoup plus sombre et ambigu que prévu, mettant des bâtons dans les roues du protagoniste principal tout en s’avérant être un tireur redoutable et foudroyant, la sortie du Colt de son étui, la pression sur la gâchette et l’arrivée de la balle entre les deux yeux de celui à qui elle était destinée se faisant dans un seul et même mouvement fluide et imperceptible. Le passé, et en particulier le sien, est volontairement oublié de sa part, lui qui s’enfuit de la vie familiale et qui n’est rattrapé par ses responsabilités que lorsqu’il recroise son frère dans un monastère, le second étant désormais bafoué de son sens d’origine, car transformé en hôpital militaire, et le premier étant le dernier rempart face à la disparition totale d’un passé tragique au profit d’une vie de l’instant présent éphémère et au destin tracé.


Et puis, enfin et surtout, Blondin. Blondin et ses cigares, tantôt trahissant sa piste, tantôt lui servant à allumer la mèche d’un canon, caractérisant en tous cas son faciès impassible, apparaissant identique à lui-même malgré les quelques bouffées de fumées émanant de temps à autres d’entre ses deux lèvres. Ses quelques lignes de dialogue sont parfaitement distillées, n’en disant jamais ni trop, ni pas assez sur son personnage, restant dans un flou paradoxalement parfaitement clair. Car c’est bien là que l’on comprend toute la virtuosité et l’intelligence avec laquelle Sergio Leone construit son protagoniste principal. En apparence, on croirait le connaître avant même de l’avoir vu, ce mercenaire cynique, opportuniste et intéressé, répartissant au millimètre près ses prises de parole et balayant d’une regard indifférent les vastes plaines désertiques s’étendant à perte de vue à travers son regard plissé. Mais en plus de mêler habilement les archétypes, le cinéaste s’en servant afin de donner une base de repères commune au spectateur, ce dernier se base également sur ce terreau fertile afin que le spectateur puisse se projeter dans le personnage de Blondin, étant également suffisamment libre et modelable par un récepteur averti. C’est donc à travers ses yeux – donc indirectement les nôtres – que l’on va découvrir entre autres choses les horreur de la guerre, matérialisées par une bataille au long cours entre Nordistes et Sudistes au sujet d’un pont, point à l’enjeu stratégique quasi nul, que le général croisé par nos héros ne veut que voir exploser, dernière volonté réalisée par ces derniers dans un mélange de nécessité pécuniaire et de bonhommie humaniste.


Tout cela, donc, pour arriver au centre de ce cimetière. Là où les ombres se croisent et s’affrontent dans une danse de la mort macabre conviant aussi bien les défunts que les vivants. Dans ce périmètre en dehors d’espace et temps, ce cercle touchant et unifiant les deux côtés de l’existence, l’issue finale de cette impasse mexicaine importe peu ; le lieu symboliquement fort, le contexte tragique, la musique grandiose d’Ennio Morricone, le filmage jouissif de Sergio Leone et la présence fantomatique de ces ombres ayant les pieds dans la tombe et la main proche de l’étui, tout est réuni pour un moment de cinéma dépassant toute considération aussi bien esthétique que théorique, atteignant un instant, un assemblement d’images suspendu dans le temps révélant par le sublime qu’il convoque et la grâce funèbre de sa nature l’essence de la condition humaine.

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le 6 oct. 2020

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Louis Perquin

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