Les comédiens qui sont passés devant la caméra de Clint Eastwood s'accordent en général à dire que le réalisateur se montre économe dans son travail de direction - tout en parvenant toujours à les mettre dans les meilleures conditions possibles pour qu'ils livrent la meilleure prestation possible, presque sans s'en rendre compte.
Et, c'est vrai, il n'y a pratiquement jamais de fausses notes dans les interprétations des acteurs jouant pour Eastwood. De ce point de vue, la plupart de ses films sont un régal, et l'essentiel de leur force passe par ce biais.


Le Cas Richard Jewell confirme la règle, offrant notamment à Paul Walter Hauser, qui incarne Jewell, une partition subtile et complexe, d'une richesse qui doit pour un comédien représenter une véritable gourmandise.
C'est que le protagoniste de cette histoire n'a pas de prime abord les qualités évidentes pour habiter le rôle de héros, même s'il n'a rien contre cette idée. Un peu lent, plus laborieux que doué, doté d'un physique ingrat, emprunté, source de risées chez à peu près tous ceux qu'il fréquente, Richard Jewell est un Américain plus que moyen, un type sans relief, qui vit encore chez sa mère. Son seul rêve est de défendre la loi et l'ordre - "law and order", les deux mots reviennent en boucle dans sa bouche, comme un mantra seul capable de le préserver de la cruauté de la vie, même quand les tenants de cette loi et de cet ordre s'acharnent à piétiner ses droits et sa dignité.


Peu à peu, Paul Walter Hauser taille dans la matière brute du diamant de son talent pour polir les différentes facettes de son personnage, et c'est ainsi que l'on suit, d'abord sans sympathie particulière, puis avec empathie, colère, révolte, indignation, le véritable calvaire que devient son existence.
A ses côtés, Sam Rockwell campe Watson Bryant, un authentique avocat américain, braillard, imprécateur, procédurier - mais aussi revenu de tout, pas héroïque lui non plus. Simplement humain, sous ses atours d'aboyeur professionnel. Sans y toucher, l'acteur fournit le contrepoint idéal au personnage de Richard Jewell, complété de l'autre côté par la mère du malheureux heureux, que campe avec solidité par Kathy Bates.


Face à ce trio (épaulé par la secrétaire de l'avocat), les antagonistes paraissent un poil plus caricaturaux, de l'agent du F.B.I. mâchoire carrée serrée (Jon Hamm, massif) à la journaliste arriviste prête à tout pour le scoop (Olivia Wilde, en manque de finesse). Ils incarnent l'adversité mise en branle sur presque rien, un besoin de désigner un coupable rapidement pour panser les plaies, une vilaine habitude américaine que Clint Eastwood, pas si réactionnaire qu'on voudrait bien le faire croire, stigmatise sans hésiter. Mais aussi sans finesse, pour le coup, ce qui constitue pour moi l'un des regrets du film.


Certes, pour accrocher le spectateur au parcours douloureux de son protagoniste, il faut bien le montrer jeté sous un rouleau compresseur, dont le moteur infaillible est nourri des clichés du système judiciaire, de l'acharnement médiatique et de la vindicte populaire. Le procédé est inévitable, il n'en reste pas moins fragilisé dès lors que le réalisateur l'investit sans grande conviction. L'évolution du personnage de la journaliste, de salope avide à femme en pleurs lors de la conférence de presse finale, qui réalise en un claquement de doigt son erreur, est symptomatique de cette faiblesse, qui ébranle toutes les fondations du scénario. Sans toutefois les faire tomber, heureusement.


La musique, discrète mais sans génie, tire elle aussi le film vers le bas, avec ses violons faciles et son piano tire-larmes. Elle ressemble à certaines B.O. composées par Clint himself. Mais ce n'en est qu'un ersatz, au goût très éloigné de son meilleur café.


Il y a néanmoins, pour compenser, le savoir-faire du grand Clint. Sa mise en scène tout en fluidité, d'une évidence absolue. Sa manière de composer un récit sans temps mort, faisant passer les deux heures du métrage sans aucun ennui. Sa foi dans son sujet, aussi. Depuis peu il les aime, ces personnages ordinaires à qui l'on demande d'être des héros irréprochables avant de s'acharner à les mettre plus bas que terre. Récemment, Tom Hanks jouait le même genre d'homme dans Sully. Dans une carrière aussi longue que celle de Clint Eastwood, beaucoup plus contrastée et moins manichéenne, que ce que ses détracteurs prétendent, ce n'est évidemment pas un hasard.


Le Cas Richard Jewell n'est pas un grand Eastwood, mais c'est un bon Eastwood, dans la bonne moyenne de son œuvre. Et la preuve d'une vitalité plus qu'enviable pour un artiste - et un homme - de 89 ans.
(Moi, en tout cas, je veux bien être aussi actif et créatif que lui à cet âge...si j'y parviens un jour !)

ElliottSyndrome
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le 27 févr. 2020

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