Le Château dans le ciel
7.9
Le Château dans le ciel

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1986)

Totoro et compagnie : à l'aube d'une grande aventure et d'une grande histoire.

Si on a dû attendre comme des glands l’année 2003 pour qu’il débarque dans nos salles obscures, Le Château dans le Ciel avait déjà 17 ans d’ancienneté lorsque le public français l’a découvert et en a fait les éloges à son tour. Sa valeur symbolique vient du fait que l’existence de ce conte à la Gulliver résulte de la fondation de Ghibli par Isao Takahata et Toshio Suzuki qui ont expressément donner vie à ce studio pour permettre au maître de la Japanimation d’aboutir à sa première création comme grand représentant artistique du studio.


Il est encore plus drôle de savoir que c’est lui-même qui a trouvé le nom du studio alors qu’il n’est pas l’un de ses principaux fondateurs. Et que par ce nom tiré d’un avion de reconnaissance italien, l’un des studios maître de l’animation sur le sol nippon a vu le jour avec ce qui est potentiellement le plus reconnaissable des films du réalisateur.


Si Hayao Miyazaki a lui-même avoué que Le Château dans le Ciel était son film favori parmi toutes ses créations, ce n’est pas pour rien. C’est un film transpirant par sa personnalité à tous bords : que ça soit le contexte de la révolution industrielle dépeint par les plans marronnais du générique, la course à l’armement au sein de l’armée partant de plus en plus à la conquête du ciel et les métiers manuels et de durs labeurs confinés dans les petites villes de campagnes ou isolés du monde. En 5 minutes et au cours d’une attaque de pirate, le tableau, l’époque et les ingrédients centraux de l’œuvre cinématographique de Miyazaki sont en place et seront au service de tout ce qui s’ensuivront.


A commencer par l’introduction de ses deux jeunes héros Pazu et Shiita qui sont infiniment attachant pour une principale raison : ils sont simples mais leur attitude, leur environnement, leur situation et leurs dialogues les enrichissent très facilement et permettent de mettre davantage d’étiquette sur ce qu’ils sont. Pazu se dévoile rapidement comme un jeune mineur rêveur et idéaliste mais adroit et audacieux dans ce qu’il entreprend, tandis que Shiita est une fermière innocente encore ouvert aux joies simple, qui passe par la rencontre et l’attachement envers son sauveur, la prise de conscience d’un pouvoir qui la dépasse et qu’elle n’a jamais demandé et une immense empathie suscité durant toute la deuxième moitié au vu de l’intolérance et de la représentation qu’ont les agents du gouvernement et l’armée à on encontre. L’un comme l’autre sue pour gagner leur pain quotidien alors qu’ils sont privés de repère parental, et tout deux se retrouvent malgré eux confronté à un monde plus large mais également plus intolérant et vampirisé par la course à la puissance qu’est celui des adultes.


La dualité est d’ailleurs un thème phare qui se retrouve dans de nombreuses situations au sein de cette première œuvre du studio : celle entre notre deux héros et les pirates du ciel dans un premier temps qui se révéleront plus proche d’une mini-fratrie voire de grands enfants, celle entre Shiita incarnant l’innocence et la douceur tandis que Muska incarne la soif de connaissance et de pouvoir au détriment des sentiments humains, celle à travers les appareils volantes entre le dirigeable de guerre destiné au combat et celui du clan de Dora davantage employé à l’exploration et servant de demeure provisoire pour Shiita et Pazu, ou même pour faire de la bonne comédie simple comme le duel de culturiste entre le chef de la mine et le pirate bodybuildé.


Mieux encore, les oppositions qui sont faites dans ce film découlent très souvent à l’image mais sans pour autant avoir besoin de pointer le doigt directement sur la chose.


La rencontre de Shiita et Pazu avec le robot de Laputa ainsi que la découverte de son quotidien au sein du château céleste étant l’un des plus beaux moments du cinéma d’animation à mes yeux. La beauté se sublime tant par sa qualité esthétique et la nature regagnant ses droits sur une civilisation humaine anciennement habité que par la musique de Joe Hisaishi qui ne manque jamais de sublimer les plus beaux moments des films de Miyazaki.


Un moment d’accomplissement pour le film en lui-même mais aussi un accomplissement personnel pour Pazu et Shiita voyant la beauté sous la forme de cette harmonie naturelle et végétale au sein d’une civilisation dont l’histoire est oubliée.


Tandis que la prise de pouvoir de Muska et l’invasion des êtres mécaniques contraste totalement avec l’arrivée de nos héros, la convoitise et la soif de conquête militaire devenant un facteur nuisible tant pour eux que pour la beauté simple de Laputa totalement réduite à ses richesses matérielles. Montrant cette parcelle d’adulte comme des envahisseurs courant à leur perte soit par la recherche d’un pouvoir qu’ils ne peuvent contrôler ou que leurs aïeuls ont abandonnés, soit par avidité excessive et ne tenant que par une hiérarchie établie par les lois humaines (hiérarchie avec lequel joue Muska pour les punir en se prenant quasiment pour la nouvelle calamité des hommes quitte à se comparer à des armes ayant provoqués un cataclysme chez l’homme comme la flèche d’Indra de Ramayana).


Par ailleurs, Muska est un peu comme Fio dans Porco Rosso dans le sens ou il me semble moins estimé par rapport à d’autres antagonistes du catalogue Ghibli comme Dame Eboshi, la vieille Yubaba, Curtis ou Kushana (et aussi Fujimoto dans une certaine mesure, même si cette étiquette est finalement bien moins évidente avec lui). Il est cultivé et intellectuellement supérieur mais méprisé par la hiérarchie militaire collaborant avec lui malgré cela, il a un désir de pouvoir évident mais a une confrontation forte avec Shiita sur sa véritable nature et sa vision de l’avenir pour Laputa et sa technologie hors de portée des hommes et il représente une menace réelle de chaque instant. Pas par opulence de pouvoir ni par représentation grotesque ou absurde, mais par un don pour la manipulation et une quête de réhabilitation d’un ancien royaume qui est complètement pervertie par sa mauvaise nature.


Là ou les pirates du clan de Dora (non… je ne ferais pas cette blague) permettent davantage de voir les bons côtés des adultes en comparaison de l’armée et de Muska. Dora étant certes une pirate excentrique sévère et désireuse de richesse mais capable de reconnaître les qualités de ses deux passagers de fortunes, tandis que ses fils sont facilement subjugués par l’allure et la beauté simple de Shiita et sont de grands enfants à n’en pas douter. Et dont beaucoup de scènes humoristiques sont terriblement efficace (si Shiita ressemble vraiment à Dora une fois adulte, je vais au sommet de la tour Eiffel et je me jette dans le vide) quand ça n’est pas les instants complices de nos deux jeunes enfants infiniment identifiable pour le public.


Petit détail d’ailleurs que je n’ai pas soulevé et qui n’est peut être pas si souvent pris en compte, c’est la valeur de la femme défendu mais jamais évoquer un seul instant la caricature navrante de la femme forte à l’heure actuelle : Shiita montre souvent des faiblesses mais de manière pertinente à chaque fois qu’elle semble prête à craquer et éprouve un besoin de réconfort auprès de Pazu et son optimisme, et elle ne rechigne pas à faire des tâches ingrates pour le bien de tous (la cuisine et le service à table par exemple durant le court séjour avec le clan de Dora).


C’est l’une des raisons pour lesquels j’accorde une grande valeur personnelle et beaucoup d’attachement au Château dans le ciel, il est universel dans ce qu’il montre, indémodable, transcendant et beau mais surtout il conserve un don immense pour l’immersion narratif. Que ça soit par de simple détail comme le matin aux aurores de Pazu ou le quotidien de la mine proche du déclin, ou la vie de fermière de Shiita isolée du monde et coupée de tout.


Mais aussi par son animation comme toujours magnifique, que ça soit un simple travelling à ras de sol sur l’aéroplane des pirates du ciel jusqu’à la magnificence des plans dans les cieux ou l’immense forteresse de Laputa. C’est une sublimation esthétique et un langage visuel que Miyazaki a su maîtriser rapidement dés sa version de Lupin the Third et dans lequel il ne démord nullement ici.


Aujourd’hui reconnu comme un classique de l’animation japonaise par les cinéphiles confirmés et le public lambda, il a rencontré un succès plus modéré à sa sortie sur le sol japonais et fait à peine plus de 650 000 entrées en France. Mais le bouche à oreille et la mémoire collectif l’auront à juste titre classé parmi les incontournables du studio à savourer sans modération, et pourtant on n’en était qu’au commencement. Le meilleur était encore à venir.

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le 26 janv. 2020

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