Une épidémie se répand sur la petite ville de Saint-Robin, une petite ville bien tranquille comme n’importe quelle petite ville. Cette épidémie, elle est propagée par un animal de mauvais augure : le corbeau… Ou plutôt par celui, ou celle, qui prend cette identité afin de répandre son venin au travers de centaines de lettres anonymes prenant chacune pour cible le docteur Germain (Pierre Fresnay). La rumeur ouvre ses ailes… Elle ne les refermera pas de sitôt.


Il était inévitable qu’au sortir d’un conflit mondial qui s’est manifesté sur le sol français par une occupation ennemie mémorable, une méfiance sans bornes s’élevât vis-à-vis d’une coproduction franco-allemande datant de 1943. D’aucuns veulent voir dans cette interdiction le refus d’évoquer une sombre période – encore récente – de collaboration marquée par la délation. La virulence de la dénonciation n'ayant sans doute pas été moindre sous le mouvement de la "Libération", on m'excusera d'y voir simplement une intransigeance de plus au crédit d'un mouvement au zèle quelque peu excessif...
Quoiqu'il en soit, victime de cette intolérance, Le Corbeau se caractérise pourtant par une portée universelle, dénonçant sans cible particulière (c’est peut-être aussi ce que reprochera au film ladite "Libération") le pouvoir des on-dit, ragots, et autres calomnies sur la pensée et les actes d'une population humaine. Car au-delà d’une enquête à la Exbrayat, déjà passionnante, Clouzot nous invite à nous plonger dans les tréfonds de l’âme humaine à travers un remarquable, quoiqu'extrêmement noir, tableau des mœurs de la petite communauté de personnes qu’il nous invite à suivre ici. On s’attache rapidement à tous ces personnages au sommet desquels règne un Pierre Fresnay, remarquable comme à son habitude, d’autant qu’au fur et à mesure du film, la frontière entre le bien et le mal s’estompe peu à peu, et nous fait sans cesse remettre en question nos impressions sur chacun, introduisant une profonde réflexion chez le spectateur, secoué sans ménagement.
Tout cela nous fait arriver à un twist qui surprendra mais sans éclat, la surprise étant sensiblement diminuée par le fait qu’on aura soupçonné tous les habitants chacun son tour, et que l’on sera forcément passé par le vrai ou la vraie coupable. Cependant, en-dehors d’un scénario classique, inspiré de faits réels, on ne pourra que s’extasier devant des dialogues véritablement exceptionnels, ainsi que devant une mise en scène proprement extraordinaire, qui capte et restitue parfaitement l’intensité du moment filmé. C’est principalement elle qui parvient à donner au film un ton d’une noblesse et d’un tragique sans égaux au travers de certaines scènes inoubliables, et achève de convaincre le spectateur que, oui, il est bien en train d’assister à un grand film.

Tonto
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le 15 nov. 2016

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