Le Coureur
7.2
Le Coureur

Film de Amir Naderi (1986)

Amir Naderi est l’un des chefs de file du cinéma iranien de ces dernières décennies. L’homme, passionné, fantasque et éperdument amoureux du cinéma, a, au fil des années, acquis une véritable expérience de la vie à travers de nombreuses épreuves. Et si la célébrité et le profit lui ont toujours échappé, il est demeuré fidèle à ses convictions et au septième art. Très attaché à son pays natal, l’Iran, il eut l’occasion d’y tourner à diverses reprises, ainsi qu’à l’étranger, devant faire face à la censure du pouvoir politique iranien et voyageant notamment aux Etats-Unis, en Italie et au Japon. Le Coureur est considéré comme un de ses films les plus emblématiques, à l’influence majeure et aux nombreuses qualités.


Alors que l’Iran est en conflit avec l’Irak, Amir Naderi met en scène un enfant, Amiro, vivant pauvrement dans une ville côtière. Sans famille, il n’a de compagnie qu’un groupe d’amis faisant également face à la pauvreté. Amiro passe souvent son temps à héler les immenses cargos qui circulent dans le golfe et dont les immenses silhouettes évoquent la promesse d’un départ vers l’inconnu, d’une liberté espérée. La présence régulière à l’écran de moyens de transports et de véhicule (bateaux, voitures, avions, trains) évoque justement cette envie de mobilité. Car l’un des principaux messages du Coureur consiste à montrer que l’Homme a une aspiration naturelle pour la liberté, qu’il ne peut se contenter d’être menotté de vivre heureux de la sorte.


Pourtant, il ne s’agit pas toujours d’un choix qui nous est offert. C’est aussi et surtout quelque chose qui dépend du contexte dans lequel on vit, et des moyens que l’on se donne pour atteindre ses objectifs. Le Coureur est une ode à la persévérance, couplée à un sombre tableau d’un pays meurtri par la révolution et la guerre. Amiro, comme le titre du film l’indique, court, et crie après les bateaux et les avions, et après cette liberté dont il entretient l’espoir d’enfin l’atteindre. Souvent filmé en utilisant des travellings circulaires, Amiro semble embarqué dans une course infinie, dans des séquences mêlant rêve et désespoir.


Le choix d’un enfant en tant que protagoniste s’avère somme toute logique et tout à fait approprié vis-à-vis du contexte dans lequel se développe le film. L’innocence et la fraîcheur de l’enfant, développant son expérience de la vie, contraste avec l’aridité du climat et l’aspect impitoyable d’une société où règne la loi du plus fort. Cette enfance devant faire face à l’adversité dans un contexte de guerre et ce style très brut, parfois presque documentaire, s’inspirent visiblement du néoréalisme italien des années 40, et notamment d’Allemagne, Année Zéro de Roberto Rossellini.


Ce climat de guerre, souvent filmé dans une lumière crépusculaire dorée, revêt des aspects parfois post-apocalyptiques, invitant à un retour aux sources, une reconstruction, et à une communion avec la nature. L’enfant regarde la mer, récite l’alphabet persan dans les remous provoqués par les vagues, il fait une course pour récupérer un pain de glace posé près de puits de pétrole d’où jaillissent d’immenses flammes. Les éléments de la nature se succèdent, se croisent et se mélangent pour créer un ensemble originel, créateur et destructeur. Finalement, Amir Naderi nous décrit un pays où la civilisation s’est perdue, aux repères transformés par la révolution, et à l’équilibre fragilisé par la guerre avec le voisin irakien. C’est donc, dans cette atmosphère primale et hostile, l’alphabet, la maîtrise du langage et l’instruction, qui donneront à Amiro la clé pour la liberté, et le retour à la civilisation.


Le Coureur est, en définitive, un film que l’on pourrait associer à un mouvement qualifiable en tant que « néoréalisme iranien », récit de malheurs et d’espoirs, où tout semble perdu, mais où la flamme entretenue par un enfant à la combativité inexpugnable montre la ténacité de l’Homme et que, même lors des heures les plus sombres, il n’y a pas de réelle fatalité. La caméra d’Amir Naderi se déplace avec fluidité dans ce tableau riche et poussiéreux, restituant avec fidélité des moments du quotidien, et offrant des moments de grâce, presque oniriques. On y trouvera du Rossellini, parfois du Kurosawa, mais surtout une vraie maîtrise et une véritable passion, dans un film mêlant enthousiasme et mélancolie, chant pour un paradis perdu, et terreau pour un espoir inébranlable.

JKDZ29
7
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le 6 avr. 2018

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