Le crime de l'Orient-Express reste à mes yeux l'un des meilleurs romans policier jamais écrit. Un Poirot au sommet pour une enquête ciselée au millimètre. Mais quand l'inspecteur Kenneth Branagh s'en mêle faut-il s'en inquiéter? Je préviens le lecteur avant qu'il ne s'aventure plus loin, cette critique contient de nombreux spoilers nécessaires à sa rédaction.
Notre aventure commence au grand air à Jerusalem. Pourquoi pas! Au lieu de se retrouver directement confiné dans un wagon, Hercule Poirot nous est introduit par le biais d'une enquête distrayante qui a pour but de démontrer au spectateur ses incroyables capacités de déduction. Poirot, interprété par Kenneth Branagh, est assez crédible avec une moustache farfelue mais étudiée, un accent français dès plus réussit et une obsession de l'ordre poussée à son paroxysme. Il apparaît donc comme fidèle au héros d'Agatha Christie, un détective soigné, courtois et vaniteux. Sa petite affaire résolue, il est temps d'embarquer.
Avant même que le train ne siffle trois fois, la mèche est déjà vendue! Une petite discussion sur un bateau entre deux protagonistes et on se doute que quelque chose s'organise en secret. Aie! Première erreur de jugement... Le train démarre, on nous présente l'intégralité du casting, à savoir un trop plein de stars (Pelenope Cruz, Judith Dench, Daisy Ridley...) ce qui amène fatalement une fadeur dans les échanges car personne ne peut réellement étaler son jeu. Johnny Depp, la future victime s'en tire plutôt bien avec sa bouille de gangster notoire avant de se faire trucider. L'enquête commence et là c'est le drame.
Adieu ma chère Agatha Christie, reine du crime et du mystère! Dans ce train numérique pas vraiment réussit en extérieur mais heureusement point trop clinquant en intérieur, le calme et réfléchi Hercule Poirot va se transformer en un homme tour à tour colérique, pleurnichard, mélancolique... Branagh a voulu "humaniser" le personnage et c'est un sacrilège sans nom. La force même de l'inspecteur belge résiste dans sa malice, sa vanité, son mépris. C'est homme désagréable qui n'a cure des sentiments d'autrui. Ici, Poirot est le bon samaritain de service qui au lieu de résoudre le mystère grâce à des interrogatoires délicieux dont lui seul à le secret se transforme en une bête d'action: Hercule marchant sur le toit du train, Hercule courant dans la neige, Hercule prends une balle... Ridicule! Ses fameuses petites cellules grises se retrouvent émoussées et voir le plus grand détective du monde complément perdu dans cette enquête qu'il maîtrise sur le bout des doigts dans le livre fait peine à voir.
Madame Christie doit se retourner dans sa tombe! La volonté de donner un nouveau souffle à ces oeuvres des années trente est louable mais Kenneth Branagh a raté sa correspondance. On s'éloigne de plus en plus d'une intrigue comico-tragique pour se retrouver dans un univers pathos qui ne reprends que des accessoires du livre en oubliant la substantifique moelle. La mise en scène n'aide pas non plus: pour offrir au spectateur un sentiment de cloisonnement permanent le metteur en scène adopte des angles de caméra étranges ou les visages s'effacent à cause de contre-plongées permanentes. Les scènes en extérieurs seraient presque plus réussie que celle en intérieur, c'est un comble!
Tout bon roman d'Agatha Christie repose sur une fin inattendue. La fin qui nous est offerte est effectivement inattendue tellement elle est catastrophique et ridicule. Le mythe Poirot est brisé à jamais. Un film qui avait plutôt bien démarré et 1h45 plus tard une enquête bâclée. La petite mort sur le Nil...