Un blouson pour les gouverner tous

Le Daim nous prouve que depuis toujours John Ronald Reuel Tolkien avait raison sur une partie de la nature humaine, avec l'Anneau Unique et les Silmarils (bien sûr toute la philosophie tolkienne ne se résume pas à ça).



Le Blouson Unique



"What you own ends up owning you" a dit Tayler Durden dans Fight Club. Le Daim, c'est ça: un type faible se fait corrompre l'âme par son blouson en daim. La référence au Seigneur des Anneaux est d'ailleurs présente dans le film, lorsque Georges porte le doigt d'un cadavre muni d'un anneau à sa bouche, et le spectateur se demande s'il va lui arracher comme Gollum.
Dupieux transpose donc le mythe de l'Anneau dans un cadre réaliste, et montre une possible interprétation de ce mythe (car l'anneau peut représenter autre chose qu'un blouson en daim), celui de la corruption de l'âme.
A la manière de l'Anneau, le blouson va changer de porteur pour pouvoir assouvir son rêve le plus secret: être le seul blouson du monde. En effet, il voit que la personne de Georges est trop faible et ne peut plus rien faire pour lui, malgré son amour infini. Alors que l'on ne croyait qu'à une simple folie de la part de Georges lorsqu'il discutait avec son blouson, on se rend compte à la fin que ce blouson est bel et bien vivant: il trouve une personne plus intelligente, plus capable et disposant de moyens financiers, et change de donc de porteur.
Oui c'est une critique de la société de consommation. Oui, c'est une critique de comment on devient con quand on possède l'inutile. Oui, c'est une critique de la vanité. Mais je n'arrive pas à exprimer cela aussi subtilement que ça l'est dans le film, car sous des faux semblants de non-sens, tout y est parfaitement logique! Les actions se déroulent sans incohérences.



Gollum alias Georges



Georges, à un moment, n'est pas loin, je l'ai dit, de bouffer le doigt d'un cadavre pour reprendre son anneau. Il entre aussi en dialogue avec son blouson (où il parle à la place du blouson), à la manière de Gollum dans Les Deux Tours qui dialogue avec Sméagol. Ce sont tous les deux des hommes ayant perdu de vue le sens de leur vie, et c'est à ce moment de détresse qu'un objet, sous des apparences innocentes et parfaitement normales, se place sur le chemin de leur vie et en reprenne les rennes.
La serveuse, c'est Frodon sans la rédemption. Donc c'est pas Frodon, mais en gros c'est une jeune fille intelligente, qui finit elle aussi par se faire posséder par le blouson en daim dans les dix secondes finales. Le matérialisme ne pardonne pas, quiconque que l'on soit. Tout cela est tout à fait pessimiste.


"Si ça se trouve tout ça n'est pas du tout le sujet du film ou il n'y a aucune critique de tout ça et Dupieux a tout juste voulu faire de l'absurde sans arrière pensée!" m'a-t-on dit.
"Chuis pas Dupieux chpeux pas savoir" ai-je répondu.
Primo, ce que je sais c'est que l'absurde est, à la base, le théâtre de la condition humaine, qui met en avant le non-sens de la vie, de l'homme et du monde. Alors absurde n'est pas non-sens, mais la mise en avant du non sens.
Secundo, tout les événements et les actions des personnages s'enchaînent de manière parfaitement logique. Pas d'absurdités, pas de Deus Ex Machina à la fin: la volonté du blouson ne fait que s'affirmer.
Dupieux met en avant de manière parfaitement raisonnée le non-sens de la vie, créant l'atmosphère tout à fait singulière du film.


On peut donc dire que le message se détache de l'optimisme de notre cher JRR Tolkien catholique: pas de rédemption finale, pas de reprise de contrôle par l'homme sur l'objet, sur la tentation. Un pur chef d'oeuvre absurde!


Allez voir ce film, même pour les non-"Pseudo Tolkienophiles prétentieux que je suis", par ce que c'est vraiment très rigolo..

Gandoulfe
8
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le 20 juin 2019

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