L’ADN du Dernier Samouraï est tout entier écartelé entre le réinvestissement des traditions d’un genre canonique – la fresque historique – et la volonté de les adapter aux codes du divertissement hollywoodien type blockbuster. Le film trouve là un dédoublement brillant de sa structure par l’intermédiaire d’un propos historique passionnant, à savoir le clivage entre les ambitions de modernisation étatique du gouvernement japonais et les valeurs ancestrales qui sont menacées d’extinction. Edward Zwick invente une forme à mi-chemin entre l’intimiste et le spectaculaire, orchestre la rencontre des langues et des cultures en introduisant dans un pays en plein bouleversement un personnage étranger doté d’un point de vue occidental, une focalisation qui non seulement porte une idéologie gorgée de domination, mais aussi et surtout raccorde le long métrage aux autres grands massacres de l’Histoire américaine, et notamment ceux perpétrés à l’encontre des tribus indiennes.


Le personnage interprété par Tom Cruise est un vétéran de la guerre de Sécession responsable de l’extermination de nombreux Indiens, et sa capture par les Japonais lui sert de purgatoire intérieur et extérieur (en témoignent les nombreux coups reçus) ; il interdit alors tout patriotisme, au contraire il interroge la grandiloquence américaine en lui opposant les spectres avec lesquels il doit se situer et reconstruire son existence. En ce sens, le capitaine Nathan Algren est l’incarnation de la solitude profonde du bras armé d’une puissance qui le dépasse et le dirige, de la même manière que Katsumoto est hanté par le sang versé et l’honneur qu’il faut à tout prix préserver. Edward Zwick ne se contente pas de faire se rencontrer deux cultures, non il établit des passerelles sur lesquelles s’élève la célébration d’une appartenance à la même humanité. La composition musicale époustouflante que signe Hans Zimmer entrelace elle aussi les influences, insère sonorités et instruments japonais dans un orchestre symphonique vigoureux et à l’épique occidental.


Le Dernier Samouraï invente une forme de blockbuster à la croisée des chemins, une forme qu’il cherche à tâtons lors de sa première partie et qu’il mitraille enfin, une forme qu’il prend le temps de densifier et qu’il perce de trouées poétiques et sensibles dans lesquelles le spectateur peut engouffrer un sentiment, une émotion. Un chef d’œuvre mésestimé et d’une densité remarquable.

Fêtons_le_cinéma
10

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le 7 mars 2020

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