Je n'aime pas les pièces montées. En fait, j'adore les petits choux, la crème est un délice et je vends mon âme pour de la bonne nougatine. Mais je n'aime pas les pièces montées car elles ne sont jamais comme les choux de ma Mamie. Les siens sont meilleurs, évidemment. Chaque fois que je mange un chou, je me dis que je vais retrouver le plaisir de la pâte, le fondant de la crème parfumée juste ce qu'il faut, le croquant de la nougatine qui décorait le bas du plat. Et chaque fois je me casse les dents et me colle les doigts sur des boules trop petites, chichement garnies et entourées de trop de caramel, rendant l'ensemble trop croquant, sucré à l’écœurement, mal équilibré. Chaque fois j'ai envie de croire que je vais retrouver le goût et avec lui le plaisir de ces dimanches d'enfance où j'avais le droit de reprendre trois fois de ce dessert que j'adorais. Mais les seuls choux qui me font cet effet, ce sont les choux de ma Mamie.

Quand je regarde un film après avoir lu et aimé le livre dont il est adapté, j'ai la même appréhension que devant une pièce montée. Je sais que je vais comparer avec ce que je connais, que je vais y chercher les mêmes saveurs, les mêmes émotions. Et j'ai sans doute tort, d'ailleurs, d'avoir ces attentes. Mais parfois, les choux de Mamie ne sont pas si loin. Parfois, soit qu'elle soit suffisamment fidèle ou agréablement différente, la pièce montée n’écœure pas.

Le scénario diffère peu de celui du livre, certaines scènes sont très fidèlement présentes. D'autres manquent, sans doute trop osées à représenter à l'époque quand elles pouvaient encore « passer » à l'écrit. Gérard Philipe joue en nuances et l'on retrouve en lui les errances du François du livre de Radiguet, cet adolescent qui veut être un homme pour plaire à une femme mais qui aura un côté enfantin tantôt boudeur, tantôt espiègle. La moue boudeuse de François lorsqu'il découvre la photographie du fiancé de Marthe et qu'il lui dit un « il est très beau » que l'ont sent d'avance peu sincère est une belle illustration de ce jeu.

La première partie du film, la rencontre et la séduction des deux personnages m'a beaucoup plu. Elle est pleine d'insouciance, les deux personnages se testent, se cherchent, se provoquent. La seconde qui, en même temps qu'elle plonge dans la passion s'enfonce dans le drame m'a un peu moins emballée, simplement parce que certaines ellipses m'ont semblé difficiles à comprendre. Si l'ont réalise finalement les allers et retours incessants dans l'attitude du personnage de François, ils sont plus dits après coup qu'illustrés et je trouve cela dommage. Pas que j'aie besoin d'être tout le temps dans le démonstratif mais quitte à souligner quelque chose, autant faire ça bien, et au cinéma, je trouve que les images font souvent mieux les choses que quelques mots lâchés un peu au hasard.

Toujours est-il que Gérard Philipe est délicieusement vanillé, que Micheline Presle est un chou tout à fait convenable. L'ensemble fusionne hors champ pour la pudeur des spectateurs de l'époque sans doute déjà choqués par les baisers et la situation, nous permettant d'admirer un feu de cheminée – au bois d'olivier, s'il vous plaît – fort chaste qui nous concocte une pièce montée digne de celles de Mamie.
Nomenale
8
Écrit par

Créée

le 6 juil. 2014

Critique lue 652 fois

11 j'aime

3 commentaires

Nomenale

Écrit par

Critique lue 652 fois

11
3

D'autres avis sur Le Diable au corps

Le Diable au corps
Elsa_la_Cinéphile
7

Trop de transgressions pour l'époque, qui nous charment aujourd'hui

J'avais vaguement en mémoire la version de 1986 de Marco Bellocchio et j'ai cru que je revoyais ce film. Je me suis très vite aperçue que ce n'était pas la même époque de tournage ! Ce film n'en...

le 16 août 2016

8 j'aime

Le Diable au corps
Morrinson
6

Un poilu cocu

En montrant à la France de 1947, deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'histoire d'un poilu trompé par sa femme pendant la Première, le scandale ne se fit pas attendre. Malgré les...

le 7 juil. 2016

8 j'aime

2

Le Diable au corps
Caine78
5

Critique de Le Diable au corps par Caine78

Un « grand classique », un vrai de vrai, le genre de film que vous êtes plus ou moins obligé d'aimer avant même de l'avoir vu... Malheureusement pour moi, je ne fais pas partie des heureux élus ayant...

le 29 mars 2018

1 j'aime

Du même critique

Only God Forgives
Nomenale
6

De deux choses l'une

- soit j'ai rien compris, soit il y a des risques de spoil - soit l'esthétisme est impeccable et sans aucun raté, soit il est rouge. Très rouge. Trop rouge; - soit le scénario est d'une complexité...

le 26 mai 2013

73 j'aime

26

Downton Abbey
Nomenale
8

Dear Lady Sybil,

Comme j'ai aimé être une petite souris et me glisser dans cet immense demeure que vous partagez seulement avec quatre autres membres de votre famille. Comme j'ai aimé voir la vie des domestiques qui...

le 21 juin 2013

70 j'aime

23

Six pieds sous terre
Nomenale
9

"I wish that just once people wouldn't act like the clichés that they are"

La mort, je la côtoie tous les jours. J’ai grandi dedans. Et pourtant, celle-ci fait mal. La mort ne fait pas mal, d’habitude. La mort ce sont ces corps dans la salle en bas. Ce sont ces familles...

le 6 août 2013

62 j'aime

23