Youri regarde. Tout le temps. Avidement. Il regarde le cercueil de sa mère descendre en terre et considère avec la même gravité mêlée de curiosité la balalaïka dont il hérite. A travers les vitres du bus, il suit la course d’un gamin dans la rue, ne remarquant pas devant lui Lara qui imite son geste, les futurs amants regardant déjà dans la même direction sans se connaître encore. Il assiste horrifié à la fin d’une manifestation pacifique matée dans le sang, mais son regard se teinte d’admiration lorsqu’il voit Lara tirer sur le notable qui l’a violentée. Incrédule, il déchiffre dans la presse les informations annonçant les prémices d’une révolution que sa profession de médecin lui permettra de saisir dans toute la brutalité de sa passion, les hommes massacrant toujours plus volontiers dès lors qu’ils sont animés par des idéaux. Attentif depuis sa prime jeunesse à cette nature qui glace les steppes et les maisons abandonnées, il contemple les mouvements du monde à travers toutes les fenêtres que ses yeux rêveurs viennent embuer. Jusqu’à ce qu’ils se fixent enfin sur ceux de Lara, bleus, intenses, des yeux qui percent la pénombre à chacune de leurs retrouvailles. Youri commence alors à regarder en lui-même, sondant les tourments d’un cœur malmené par l’amour et l’Histoire. Déchiré entre sa femme et sa maîtresse, alors que son pays brûle d’une guerre non moins violente, c’est à la lueur d’une bougie qu’il écrira le recueil de poèmes amoureux qui fera sa gloire, une fois les loups de la Terre chassés par la main qui tient la plume.


Youri, c’est Youri Jivago, et ce classique fleuve de David Lean - mélodrame historique adapté du roman homonyme de Boris Pasternak, habillé par les compositions majestueuses de Maurice Jarre, récompensé par cinq Oscars mais éreinté par les critiques américaines lors de sa sortie en 1966 - raconte son histoire, sur fond de Révolution Russe et de réflexion sur l’engagement de l’artiste en temps de guerre. L’histoire d’un homme qui regarde, un homme qui aura protégé toute sa vie la balalaïka de sa mère sans jamais apprendre à en jouer, alors que la progéniture qu’il ne connaîtra pas la maniera avec un talent inné. Docteur Jivago, ou l’histoire de la sensibilité humaniste et artistique en héritage contre la violence des hommes.


(cette critique a été publiée dans L’Éphémère, le quotidien du Festival Internation du Film de La Rochelle : http://archives.festival-larochelle.org/festival-2011/le-festival-au-quotidien/vendredi8)

AlexandreAgnes
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le 6 juin 2016

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Alex

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