Le fils de Saul parle d'un sujet mainte fois abordé au cinéma et ailleurs (les camps de la mort nazis) sous un angle plutôt intéressant: il suit les pas d'un prisonnier Sonderkommando, une catégorie de prisonnier juif spéciale et détenue à l'écart des autres, qui se nomme Ausländer Saul.


Le film commence plutôt bien puisque sans en savoir plus sur le rôle de ces détenus pas comme les autres, on suit Saul qui guide de nouveaux arrivants directement dans les chambre à gaz. Toute la séquence est assez froide et ne dit rien sur ce qu'il se passe, laissant l'horreur se dérouler sous nos yeux. Tout est montré crûment: les cris des mourants frappant contre les lourdes portes en métal, leur corps nus et sans vie par la suite, le travail de récupération des affaires personnelles désormais sans propriétaires par Saul et les autres, l'empilement des corps, etc. Cette froideur et cette honnêteté sans édulcoration est une force du film, qui se répète à nouveau vers la fin dans une séquence aux allures d'enfers sur terre.


Seulement voilà, pour vraiment apprécier un film et être tenu en haleine par lui, encore faut-il le comprendre. Lorsque les Sonderkommando entassent les corps inanimés, ils retrouvent un jeune garçon encore en vie, qui se fait étouffer par la suite par un médecin Nazi qui ordonne qu'on lui apporte son corps pour autopsie. Saul assiste à la scène et va ensuite avoir pour obsession de trouver un rabbin qui pourra offrir un enterrement et une sépulture dignes de ce nom au jeune homme. Jusque-là, je trouvais l'idée vraiment intéressante: Saul cherchait selon moi à élever significativement ce garçon qui avait survécu à la machine infernale Nazie, sorte de lueur d'espoir dans un environnement où celui-ci a disparu, de pied-de-nez à la folie humaine. Mais en fait non tg Basile tu piges que dalle. Ce qui se trame réellement dans la caboche de notre protagoniste, c'est que ce garçon lui rappelle son fils (wtf c'est jamais mentionné avant, pas de flashback rien. Au début je pensais qu'il disait au prisonnier assistant du médecin chef que c'était son fils juste pour le convaincre de lui laisser le corps) et donc il veut l'enterrer. Et on touche là le problème central du film: il n'explique rien et attend de nous qu'on le comprenne malgré de bons gros non-dits. Aucun impact dans le visage de Saul quand il découvre le garçon qui ressemble apparemment à son garçon ne nous laisse déceler la moindre émotion... Je suis d'accord pour qu'on ne prenne pas les spectateurs pour des jambons en faisant le travail de réflexion à leur place, mais être cryptique pour être cryptique n'est pas une fin en soi et le mutisme n'est pas synonyme de génie artistique.


Ou alors c'est juste moi qui n'ai rien compris au film, ce qui ne change malheureusement rien à mon ressenti sur ce film. Mais soit, admettons que cette interprétation tombe sous le sens: les actions Saul semblent alors complètement irrationnelles, sous le prétexte qu'un gamin lui rappelle son fils qu'on n'a jamais vu. Ce manque d'implication émotionnelle du spectateur conduit alors à des facepalm incessants devant son comportement qui fait capoter un projet d'évasion de tous ses camarades qui savent qu'ils vont eux aussi bientôt y passer. On ressent alors la même frustration qu'eux devant la stupidité de Saul; j'insiste mais je persiste à penser que si mon interprétation première avait été la bonne, alors ce même comportement débile aurait pu être compréhensif parce qu'alors il se serait élevé pour quelque chose qui les dépasse eux tous: un gosse a, bien que temporairement, survécu à un massacre de masse.


Ajoutez à cela que le manque de clarté implique aussi que la moitié du temps on ne comprends rien à ce que ce groupe entreprend pour mettre à exécution son plan d'évasion: les relations entre personnages, le système hiérarchique du camp, etc. ont l'air d'être considérées comme acquises, alors qu'en pratique on se demande constamment "c'est qui Metiek putain?", "ah y a des Sonderkommandettes aussi, et elles foutent quoi du coup?", "c'est qui lui déjà", "pourquoi ils prennent en photo des mecs qui font rien de spécial?", ainsi de suite.


Mais quand-même, force est de constater que la réalisation a de la suite dans les idées: le format d'image 1:37 et la caméra qui colle de près le personnage font bien ressentir la situation d'emprisonnement, autant réel que moral de Saul, qui doit participer à mener à la mort des gens de sa propre religion, le film se déroule en plusieurs plan-séquences qui traduisent de manière intéressante la Solution Finale à laquelle il ne semble pas pouvoir être mis fin, certaines scènes sont franchement glaçantes et l'idée de raconter cette histoire par le prisme d'un Sonderkommando est vraiment bien trouvée.


Espérons désormais que pour la suite de son travail (don Sunset, sorti en 2018, que je n'ai pas encore vu), László Nemes prenne le temps de raconter une histoire plus compréhensible et impactante. Sa réalisation le mérite.

fcbat
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le 19 nov. 2019

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fcbat

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