Il était une fois un dragon, cruel, rusé et fabuleusement riche. Son trésor, fruit de ses innombrables pillages et rapines, se composait de millier et de milliers d'émeraudes vertes comme feuilles d'été, de saphirs à l'azur arraché au ciel, de rubis aux flammes éternelles, et bien sûr, d'or. Plus d'or que nul homme n'a pu en contempler durant sa vie. Le dragon veillait jour et nuit sur son butin, qu'il avait entreposé dans une caverne sous une grande montagne, et qu'il ne quittait que pour se nourrir, semer la destruction et assouvir toujours plus son insatiable avidité. Le monde était jeune, alors, et les hommes n'était guère que des enfants face à la malice du vieux ver. Mais tout enfant grandit, apprend et s'arme. Chaque année passant, le dragon voyait le fer envahir les royaumes qui avaient été son terrain de chasse, des chevaliers ramener la tête d'autres créatures fabuleuses, la crainte des cracheurs de feu s'éteindre peu à peu parmi les humains. Jusqu'au jour où, traqué comme une vulgaire bête, le dragon dû fuir vers les territoires du nord, où il périt seul et gelé, loin des merveilles de son antre. Les siècles passèrent. la montagne s'affaissa jusqu'à n'être plus que colline. Les forêts alentours furent abattues. Des habitations furent construites. L'une d'elle était bâtie juste au-dessus de l'emplacement de la caverne du dragon, toujours secrète, toujours gorgée de richesses maudites. Car tout trésor couvé par une telle créature porte son empreinte, la marque de son esprit, séduisant l'âme qui s'en approche, la captivant, s'en emparant, et la contraignant à ne plus penser qu'à l'or, garder l'or, apporter plus d'or. Or il advint, il n'y a pas si longtemps, que cette maison fut vendue et qu'on y emménagea. Dans cette maison vivait un réalisateur.
Ce réalisateur s'appelait Peter Jackson.
Et la malédiction ne faillit pas.

La série des adaptations du Hobbit, malgré son statut d'ores et déjà acquis de grosse manoeuvre commerciale tirant sur la corde en adaptant trois films d'un bouquin de 300 pages, avait jusque là conservé une certaine intégrité. Pour chaque comic relief pas drôle, une bonne prestation. Pour chaque schéma narratif convenu, une image magnifique. Pour chaque tic jacksonien, un moment épique. Gollum et Smaug ont vite fait de faire oublier Azog et Legolas.
Jusqu'à ce film. Ou, comme j'aime à l'appeler, "le moment ou Jackson s'en est battu les steaks de tout". Pour vous donner une idée, c'est comme si à la bataille des champs de Pelennor, Theoden avait juste chargé en disant "yaaah", Legolas avait tué dix mumakil avec une cuillère en plastique, et qu'on avait interrompu la bataille toutes les trois minutes pour montrer un clown faire des blagues belges.

Notons tout de même qu'on est là face à un "accident industriel" à peine voilé. Le réalisateur n'a clairement pas pris la mesure de son projet et a méjugé de sa capacité à tout faire à temps, d'où une version longue déjà annoncée comme conséquente et une fin qui n'en est pas une. La même chose peut être dite de "la désolation de Smaug", dont l'artificialité du climax est confirmée par le côté expéditif avec lequel le dragon est zigouillé dans les dix premières minutes du film, ce qui, en terme de retombée de pression, doit être la chose la plus fidèle au livre qu'on puisse trouver dans cet opus.
Un début qui est la fin du précédent, une conclusion qui n'en est pas une, y a-t-il quelque chose à sauver entre les deux ?
Eh bien, non. C'est un mauvais film, tout bêtement. Doit il pour autant être déconseillé ? Non plus. Le film est hilarant et distrayant du pseudo-début à la pseudo-fin. Il faut juste baisser ses attentes. Un peu bas, certes.

Le film souffre déjà d'une jonction inexistante avec tout les arcs ajoutés au matériau original. Dol Guldur et Sauron ? Réglés en deux coups de karaté magique contre des marionnettes fantôme, moment jouissif mais ne débouchant sur rien, ayant 15 ans graphiques de retard et s'apparentant à un sacrilège pour toute personne ayant ne serait ce qu'entendu parler des bouquins. Azog se retrouve ainsi à accomplir un plan qui ne pouvait pas exister avant la mort de Smaug et qui sent bon l'improvisation scénaristique. C'était ça ou dire que les 5 armées se sont croisées par hasard en allant acheter le pain.
D'ailleurs, cette indécision quand à la trame générale donne lieu à de nombreuses incohérences géopolitique. Pour justifier le titre, une seconde armée d'orcs apparaît, dont la seule différence est qu'elle a des chauve-souris géantes, des distances immenses sont parcourues en deux minutes, un repaire du mal lambda devient soudain une forteresse hyper puissante dont sort une armée aux ordres du mordor, les hommes ne semblent jamais trop sûrs de ce qu'ils font là... Et pour cause, ce n'est pas du tout la même histoire. Les personnages tels que présentés au début n'ont rien à voir avec cette bataille dantesque pour repousser les forces du mal qui elles-même ne sont pas censées être là. La bataille des cinq armées du livre n'était qu'un conflit local aux conséquences globales. Là, c'est un Armageddon impliquant plein de gens qui ne sont pas concernés. Et si les personnages n'ont pas de vraies motivation pour s'investir là-dedans, comment le public peut-il s'investir, lui ?
Des incohérences qu'on retrouve aussi dans l'évolution desdits personnages. Si on avait déjà évoqué ce que la fascination que l'or et l'arkenstone pouvait faire éprouver à un homme, c'était jusque là une façon élégante de dire "l'avidité et la cupidité mène à la folie". Ici, c'est une "dragon sickness" qu'on chope comme un mauvais rhume et qu'on diagnostique facilement. D'où un Thorin dingue dès le début du film, sans plus de construction que ça. De même la romance entre Tauriel et Kili, qui est maintenant un fait établi, après trois conversation ( au plus ). Quand à la plupart des autres, il ne seront tout simplement pas plus développés que ça. Bard prend son rôle de gentil héros courageux parce que c'est son boulot, Thranduil est toujours le fils illégitime de Marine Lepen et Lucius Malefoy, etc, etc... Les personnages sont au mieux des simples outils de narration, au pire des moyens pour le spectateur de suivre la bataille à venir sous différents angles.

Derrière cette maîtrise absente des enjeux et des personnages, il y a aussi un glorieux jemenfoutisme qui se dégage. Si les deux premiers hobbits étaient déjà plus légers que le SDA, on assiste ici à une grosse kermesse foutraque où tout le monde se fait plaisir. Surtout le spectateur médisant et mort de rire.
Galadriel qui dit "you have no power here", un remake déglingué de Guillaume Tell, des deus ex machina à la pelle ( conseil blanc ex machina, cloche ex machina, chamois ex machina, aigles ex machina... ), une référence hénaurme à Dune, des faux raccords comme s'il en pleuvait, des personnages traités par dessus la jambe, des trolls culs de jattes qui défoncent des tours, un roi nain chevaucheur de porc, d'autres nains sur des remparts qui parlent comme les français dans sacré graal, des points importants de l'intrigue qui disparaissent sans crier gare, la bataille qui est terriblement confuse, la moitié du film qui ressemble à un tutoriel de jeux vidéo... Peut être Jackson s'est il désintéressé de son métrage, mais pour celui qui regarde, c'est une douloureuse et hilarante fête du slip en mithril dans la médiocrité inventive.
Mais comment parler de cela sans évoquer notre roi à tous... Toujours plus caricaturalement proche du divin, mesdames et messieurs, Legolas ! Le retour du personnage le plus grotesque de la trilogie précédente n'est il pas la preuve qu'on a définitivement quitté le domaine du film sérieux ? Joué par un Orlando Bloom au sommet de sa forme, en plus. Vous savez, quand un acteur est sommé de jouer une scène éminemment ridicule, il a toujours le choix entre avoir l'air peu convaincu pour signifier au spectateur qu'il comprend sa douleur, ou se donner à fond dans l'espoir que, peut-être, la scène en devienne bonne. Deux attitudes respectables. Orlando trouve une autre voie de son cru : celle de mépriser ce qui se passe autour de lui. Il gravit ainsi comme un escalier un pont de pierre en train de chuter avec sur le visage un regard qui en dit long. Plus précisément, qui dit "je sais que j'ai l'air con à sodomiser la gravitation comme ça, mais dites-vous que je suis plus payé pour faire ce truc que vous pour quarante ans de carrière, et on verra si vous avez toujours envie de rigoler". Hélas, il n'exploite pas assez son talent pour les lapalissades, et se contentera d'un tristounet : "ces chauves souris n'ont été crées que dans un seul but....(suspens)... la GUERRE !!!". C'est dommage, surtout que c'est faux. Elles n'ont été crées que dans un seul but : servir de deltaplane à Legolas. A côté de ça, la guerre semble plutôt cool...
Autre détail, plus surprenant : Alfryd. Qui est Alfryd ? Le neveu de Peter Jackson. Enfin, je crois. Je ne vois pas pourquoi autrement un personnage uni-dimensionnel, caricatural, inutile, pas attachant et déprimant en essayant d'être drôle peut ainsi bouffer près de vingt minutes de film à lui tout seul. Pour mémoire, Alfryd, c'est l'affreux sycophante qui se lave les dents avec de la pisse d'âne et qui servait le maître de Lacville dans la Désolation. C'est maintenant un comic-relief qui servira à faire rire les tout-petits en étant bête-méchant-travesti. Oui oui, travesti. Il n'a pas d'accent rigolo, ne pète pas et ne se prend pas de râteau dans la figure, mais c'est tout juste. Si on va un peu loin, on peut le voir comme l'alter égo négatif de Bard. Faire un personnage nuancé et travaillé ? Nan, faisons plutôt d'un côté un héros courageux et honnête qui aime ses enfants et de l'autre un vil bureaucrate avide et efféminé. Comme ça les jeunes pourront voir la diversité de l'âme humaine, puisqu'il y a des gentils, oui, mais aussi des méchants.

Mais on ne peut pas sous-traiter un film à ce point sans conséquences. A force de tout prendre à la légère, chaque scène qui se veut un peu sérieuse tombe à plat. Kili et Tauriel, par exemple, ne font que retarder l'action, puisqu'ils n'ont pas vraiment de scènes de développement. Ils ne se connaissent pas, on ne les connait pas, et on s'en fout donc joyeusement. Comme Thorin. Sa tombée dans la folie étant traitée à la vitesse grand V, tout traitement un peu stylisé pour la figurer ( une grosse voix et un vortex doré ) ne ressemble pas du tout au reste et à presque l'air d'une nouvelle blague, ce qui n'était surement pas l'objectif souhaité. Même sa mort ressemble à une parodie cartoonesque ( "gnuuuh, suivons sans raison le corps de mon ennemi sous la glace" ). Les moments triste tournent à la guimauve facile, les moments héroïques au ridicule, et les rares moments où le film essaie de prendre son souffle dénotent complètement et font attendre qu'ils tournent à la farce. Même la scène où Gandalf contemple le champ de bataille avec Bilbo devient étrange. Le vieux magicien n'arrive pas à allumer sa pipe. Dans un film de plus haut standing, on pourrait essayer d'y voir une métaphore sur l'échec des plans préparés à l'avance et la futilité des petits tracas face au terrible carnage. Mais là, on dirait juste que l'accessoiriste s'est gouré et que Ian McKellen essaie de meubler comme il peut, sachant que de toutes façons on ne refera pas la prise.
Dites-vous juste que la scène la moins grotesque présente deux hommes parlant de planter un gland et vous comprendrez l'ampleur des dégâts.
Pareil pour la fin, qui ne résout rien de rien. Quid de Saroumane ? Quid du trésor ? Quid de Tauriel ? Quid du reste de l'armée orque ? Quid du futur de la montagne solitaire ? Quid de Radagast, Béorn et Dain ? Qu'est censé signifier ce plan de propagande stalinienne sur Bard à la tête de Dale ? Quid du cochon de Daïn et du chamois de Thorin ? QUID D'ALFRYD, PAR MANWË ?
Réponse : Bilbo est rentré. C'est cool. Youpi. Je suis joie.

Pour le reste, la réalisation elle-même montre des signes de faiblesse, restant sur la défensive et se contentant le plus simplement du monde de montrer ce qui se passe. En même temps, vu l'omniprésence des images de synthèse, la caméra n'a surement pas eu grand chose à voir avec le tournage de ce film. Le seul moment où Jackson se laisse aller est "la scène ou Thorin réalise qu'être fou c'est pas cool en se rappelant en boucle des phrases entendues plus tôt et en se faisant un bad trip où il voit le sol l'engloutir", aussi appelée "la scène hommage à Evangelion". Les CGI n'ont rien de bien folichons et feront surement datés dans 5 ans, mais c'est assez courant. Un nouveau défaut, par contre, est que pour la première fois, la Nouvelle-Zélande trahit Peter Jackson. Si vous avez lu le Seigneur des Anneaux, le Silmarillion ou le Hobbit, vous savez que Tolkien aime les arbres, les étoiles, les rivières, les chants, les navires, l'horizon, l'évocation des temps anciens... Chacune de ses oeuvres en parle généreusement. Peter Jackson, a réduit cet aspect un peu plus à chacun de ses films, jusqu'à celui-ci, qui se passe de A à Z dans une plaine nue et une ruine sinistre. Même la rapide vue sur la comté fait artificielle. Cela pourrait n'être pas si gênant si le visuel était original. Hélas, si en 2001, le design inspiré par les plus grands illustrateurs de Tolkien avait fait sensation et était devenu un canon du genre fantasy, on sent bien que Warcraft, Skyrim et Warhammer sont eux-même passés par là entre-temps, laissant chacun sa marque plus ou moins discrète.
Côté acteur, voici, pour résumer, ceux qui y croient encore : Martin Freeman, toujours sympathique en Bilbo, Richard Armitage, dont l'interprétation shakespearienne aurait dû être réservée à un meilleur film, et Ian McKellen, parce qu'il est et sera toujours Gandalf. Ah, et on peut rajouter Dain, le roi nain qui est si heureux dans son rôle que ça fait plaisir à voir. Quand au reste... Entre caméos, acteurs peu concernés et ceux qui jouent juste mal ( Tauriel et Thranduil ont d'un bout à l'autre l'air mal réveillé de gens qui ne comprennent pas de quoi on leur parle et font mine de rien, c'est assez tordant ), ça ne vole pas particulièrement haut. Mais pas assez bas non plus pour être vraiment drôle. Hélas ?
Et il y a la musique. Et elle suffit presque à donner la moyenne à ce naufrage. Howard Shore est en grande forme. C'est beau, c'est puissant, c'est recherché, c'est dans l'esprit de Tolkien et des films de Jackson à la fois... Tout ça me fait dire que le bon Howie nous a composé tout ça très loin des studios et n'a pas été touché par l'atmosphère délétère qui a empoisonné le reste de l'équipe. Même la chanson du générique comporte plus d'émotion et de lyrisme que tout le reste du métrage réuni.

Voilà donc le troisième Hobbit. C'est mauvais ? Sans aucun doute. C'est génial ? Oui, aussi. Avec un pot de pop-corn et un groupe de copains de bon aloi, ce film est une voie perverse pour le nirvana cinématographique. J'ai donné beaucoup de détails dans cette critique, mais dites vous bien que ce n'est pas la moitié du quart des trucs à dire et des blagues à faire là dessus. Il y a juste trop de choses.
Alors oui, on est aussi loin de l'univers de l'érudit d'Oxford qu'il est possible de l'être en restant sur la même planète, oui le projet fuit par tout les trous, oui il n'apporte rien ni au cinéma ni à votre imaginaire, oui c'est un nanar hypertrophié con comme une chaise sans jambes. Mais une accumulation de moins peut parfois faire un plus peu reluisant, mais sincèrement réjouissant. C'est pour ça qu'une fois le film fini, on l'insultera gaillardement, mais le sourire aux lèvres et la joie dans le coeur.
Allez, on se retrouve tous pour le premier des dix volets de l'adaptation du Silmarillion, toujours avec Orlando Bloom. D'ici là, amusez vous bien, et comme le dirait Thranduil : votre chat vous aime, n'en doutez jamais.
Kevan
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le 18 déc. 2014

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