nov 2012:

"Le jour où la terre s'arrêta" a fait partie de ces films de SF qui ont marqué mon enfance devant la télé. J'ai vu ce film pour la première fois sur FR3, à la "dernière séance", je devais avoir un peu moins de dix ans et je me souviens encore de la fascination qu'il a exercé sur ma jeune imagination.

Aujourd'hui, la revoyure est un peu, je dis bien "un peu", sévère : je suis plus critique à l'égard de certains points qui ne m'étaient pas apparus importants auparavant. Par exemple, il me semble que le scénario met beaucoup trop de temps à avancer. Il faut attendre presque une heure pour que les enjeux et le suspense prennent une réelle envergure.

Une fois que le récit a terminé de poser les bases, le terreau d'une bonne tension, alors Robert Wise réussit parfaitement à instaurer ce suspense jusqu'au bout, donnant une pesanteur à l'atmosphère. La nuit qui enveloppe les derniers instants engage le film vers des chemins paranoïaques novateurs pour le genre. Alors que la cinématographie de la guerre froide avait jusque là nourri une certaine angoisse qu'on pourrait associer à des réflexes maccarthystes confondant extra-terrestres et communistes, cette fois ce sont les terriens qui font peser sur la tête du héros extra-terrestre les dangers, par ignorance, par bêtise, par peur réflexe. Le résultat est le même, la violence est toujours revendiquée comme une solution, se révèle une menace permanente, brandie par les uns et les autres, comme un préalable à toute négociation, dans la nature des choses, qu'elles soient humaines ou non. Pas évident à l'époque de sortir de ce schéma, hm?

Mais par conséquent, le film de Robert Wise a le grand mérite de proposer un miroir de cette course à l'armement et cette défense agressive, de cette impossibilité de communiquer qui fera son chemin jusqu'à 1962. Toutefois, si l'on dit volontiers de ce film qu'il innove en proposant des extra-terrestres pacifiques opposés aux terriens belliqueux, à la gâchette facile, soyons tout de même honnêtes en n'omettant pas que ces amicaux aliens laissent aussi peser sur l'humanité une menace qui n'a rien de sympathique : en substance, "si vous n'êtes pas foutus de vous entendre et que vous soyez amenés à représenter un danger interstellaire, on reviendra détruire votre planète". Voilà le résumé du discours "civilisé" que profère Klaatu (Michael Rennie), on pourrait même dire que Klaatu et son baratin niquent tout. Dans l'histoire de l'humanité, on a connu des émissaires plus pacifiques. M'enfin, un alien qui parle, qui semble doué de raison et d'un certain regard à peu près humain n'était pas le genre de personnage qu'on était habitué à voir à l'époque, aussi l'associe-t-on évidement plus à l'aimable visiteur qu'à l'horrible envahisseur.

Quoiqu'il en soit, si j'avais été épaté, ravi même, par cette histoire, à la morale un peu facile finalement, c'est je pense surtout grâce à l'habillage scénique de Robert Wise dont la mise en scène est par moments très bien orchestrée. Comme je disais plus haut, la patine du temps n'altère en rien le suspense, l'atmosphère, les ombres inquiétantes. Je suppose qu'il ne faut pas manquer de souligner la très flippante et donc très bonne bande originale de Bernard Herrmann qui prouve encore s'il fallait s'en convaincre qu'il est un fabuleux compositeur de cinéma, capable à lui seul de hausser une mise en scène vers des sommets de tension et de mystères. Très bon cru herrmannien que je vais essayer de me dégotter sur le net.

Chez les acteurs, Michael Rennie n'a pas la tâche facile : jouer un extra-terrestre doté d'une intelligence supérieure, parait-il, en tout cas bardé d'une culture nettement plus ancienne que celles des terriens, d'une sorte de civilisation à l'empirisme bien plus consistant et, en même temps, lui fournir une enveloppe crédible avec sa part de normalité, d'humanité en quelque sorte, voilà une composition ardue à inventer! Dur, dur. Et j'avoue que je ne suis pas tout à fait enthousiaste. Il m'a semblé trop froid par moments, un brin trop rigide, physiquement parlant, une raideur qui lui laisse en fin de compte peu de marge de manœuvres.
Patricia Neal joue très bien, c'est entendu mais on lui demande beaucoup trop de rester comme hypnotisée par sa peur et ses interrogations, notamment face à Gort... Ces petits instants la font passer pour une biche les yeux grands ouverts et les pattes paralysées au milieu de la route, prise dans les phares d'une auto.

Le film est également un excellent document sur une époque pas si lointaine, sur des États-Unis passés, celui où l'on découvrait que la télévision devenait une institution incontournable, un temps où l'on s'imaginait le monde déjà en retrait par rapport au confort moderne, à la société de consommation qui dessinait de plus en plus ses marges, ses exclusions à l'internationale. Bonjour les clichés qui font sourire.

Un bon petit film de SF, un film sur la peur, de l'autre, de l'inconnu, de cet avenir si incertain, un film qui a su en son temps formuler un discours assez peu convenu, donc couillu, ouvrant de larges portes à l'imaginaire des cinémas suivants.
Alligator
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le 20 avr. 2013

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