Je ne suis pas raciste, j'ai un majordome noir

Il y a quelque chose que j'adore quand je regarde un biopic, c'est quand le réalisateur prend son temps pour raconter l'histoire. Je ne parle pas de jouer dans le passage à vide pour tenter de meubler vainement son récit. Je parle de complexifier la vie du héros, de développer sa personnalité et son parcours. Exit les Malcolm X, Gandhi et tutti quanti et place à une figure peu connue du grand public dont il faut remercier Lee Daniels de l'avoir mis en valeur : Cecil Gaines, le fier et brave majordome noir de la Maison Blanche qui a vu passer nombre de présidents parmi lesquels Nixon, Kennedy ou Reagan.


Lee Daniels nous promet de suivre son histoire à travers une Amérique encore profondément raciste, un peu moins dans le Nord si on la compare au Sud (difficile de faire pire ceci dit) mais raciste malgré tout. Bonne idée de s'éloigner des grands hommes tout en se replaçant dans le triste contexte de la ségrégation raciale. Seulement là où ça commence à sentir le pâté, c'est quand on se rend compte qu'en 2h12, notre bon vieux Daniels compte parler de l'enfance de Cecil, toute sa vie à la Maison Blanche, sa vie de famille, les 6 présidents mis en scène MAIS AUSSI aborder toutes les problématiques de ce temps entre esclavagisme, répression policière, guerre du Vietnam, ainsi que les Black Panthers, le KKK, MLK et Malcolm X. 2h12 pour tout ça ! A titre de comparaison, Spike Lee a mis 3h20 pour raconter la seule vie de Malcolm X. "Le Majordome", c'est un peu le musée que l'on est obligé de visiter en un temps chronométré.


Enormément de choses sont mises sur la table pour être simplement citées ou tout du moins racontées avec un cruel manque de profondeur. Un biopic doit accorder toute son attention à son personnage principal pour ne pas qu'il se fasse éclipser par la vie des autres. Là quand on voit à quel point le fils Louis est omniprésent, occultant à de nombreuses reprises son patriarche, c'est frustrant. Alors moi j'ai envie de dire que quand on fait de l'histoire, autant y aller franchement et ne pas hésiter à adopter un long format de plus de 3h si l'on veut être cohérent avec soi-même. Que tu veuilles affirmer ton engagement politique dans ton film, c'est une chose mais fais en sorte que le propos ne soit pas trop sur-appuyé au point de faire disparaître les objectifs primordiaux qui sont de raconter la vie de Cecil Gaines. Cela aurait été moins flagrant dans un très long format pour éviter une redondance et surtout la sensation d'invisibilité de Cecil.


Autre chose qui a le don d'être agaçant, c'est de croire que s'ériger la barrière "inspirée d'une histoire vraie" peut justifier toutes les ficelles scénaristiques bien pathos, à l'instar du début dans les champs de coton ou la dernière partie du film. Le point culminant sera atteint avec le militantisme démocrate gênant envers Obama quand Cecil pleure devant la TV fêtant l'élection du nouveau président. Lui que l'on voit comme l'être providentiel pour tenter de réconcilier un pays fracturé depuis la nuit des temps. On enjolive le tout alors que dans la réalité, Obama n'aura malheureusement pas tant fait avancer que ça la cause des noirs. Donc Mr Daniels, tâchez d'être impartial et honnête envers les spectateurs en pointant du doigt les échecs de chacun, autant de Saint-Obama que des présidents passés qui ont la consistance d'un raisin sec tant ils sont survolés. Même la présence charismatique de John Cusack ne transparaît pas.


Alors oui, "Le Majordome" ne manque pas de rythme et se suit bien mais ne parvient jamais à prendre à la gorge comme un Malcolm X, un 12 Years a Slave ou un Mississippi Burning l'ont fait, pour ne citer qu'eux. Même Spike Lee, réputé pour ne pas être le gars le plus subtil quand il s'agit de parler de politique, fait montre d'une meilleure justesse. C'est dommage car ce sombre chapitre de l'histoire américaine est palpitant. Hélas, il ne faudra pas compter sur "Le Majordome" pour faire du couillu et/ou de l'interpellant.

MisterLynch
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le 9 nov. 2021

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MisterLynch

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