Là où tu iras, il n'y a pas d'espoir

Ce n'est que tardivement que j'ai connu Dimitri Kirsanoff dont j'eus le plaisir de faire un démarrage en fanfare dans sa filmographie. Ménilmontant c'est avant tout une entrée en matière d'une brutalité presque inédite pour un muet avec ce meurtre sauvage à la hache (pléonasme me direz vous) d'un couple sans raison explicite. Comme s'ils avaient été tués juste comme ça, laissant derrière eux deux jeunes filles jouant dans une insouciance caractéristique de cet âge où le monde est vu comme pur. Une chimère car le brusque toucher à la réalité se fera dans la souffrance et les larmes. Autant dire que Ménilmontant nous cloue à notre fauteuil, continuant alors sur une lancée démiurgique. Dénué de tout intertitre, cela n'empêche aucunement la compréhension d'une histoire à la fois simple et touchante tout en étant torturée. Car la force du film est de se reposer sur une ambiance angoissante, proche du cauchemar dans un Paris où la vie est dans une accélération constante typée Dziga Vertov.


Ayant su s'extirper péniblement du meurtre de leurs parents, le cheminement existentiel de ces deux jeunes filles continuera sur une tonalité tragique où les espoirs de chacune de trouver l'âme soeur se heurteront à la perversité du genre masculin. L'innocence est une seconde fois bafouée. Kirsanoff va à contre-courant de la pensée cinématographique de son temps. Son cinéma est plus sombre, plus désespéré et ne s'offre aucune étreinte avec les bonnes moeurs, que ça soit par la radicalité du crime ou cette main du jeune homme posée un peu trop haut sur la cuisse de la dame (rappelant un peu le sulfureux de Frank Borzage qui lui vaudra d'ailleurs quelques déboires avec la censure).


Aucune parole n'est rencontrée dans Ménilmontant. Tout passe par les plans rapprochés sur le visage de ces filles et leurs actes. A ce niveau, on ne pourra que se coucher devant le regard magnétique de Nadia Sibirskaïa qui ne laisse jamais indifférent, tant lorsque ses yeux scintillent de bonheur ou, à l'inverse, sont d'une noire tristesse. Ménilmontant est indubitablement un film très fort pouvant compter également sur un montage nerveux où surimpressions et fondus du plus bel effet sont rencontrés, sans oublier une bande son démentielle tour à tour terrifiante et mélancolique. Autant le dire, on tient là parmi ce qui s'est fait de mieux dans le cinéma français muet.

MisterLynch
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Il faut reconnaître que ces films mettent mal à l'aise

Créée

le 5 mars 2021

Critique lue 307 fois

4 j'aime

1 commentaire

MisterLynch

Écrit par

Critique lue 307 fois

4
1

D'autres avis sur Ménilmontant

Ménilmontant
PierreAmo
9

D'un fait-divers violent à deux Fantine.

Premières remarques: _____________Jusqu'au 13/05/22 sur arte. (à voir aussi pour ses très beaux effets 'mercure' coulant dans des rues sépia.) __________________Il commence très violemment comme un...

le 5 avr. 2022

12 j'aime

3

Ménilmontant
JanosValuska
8

City girl.

Un couple sauvagement assassiné à la hache. Voilà sur quoi s’ouvre Ménilmontant, dans un montage extrêmement saccadé où il est impossible d’identifier les tenants et aboutissants. En même temps que...

le 20 janv. 2017

9 j'aime

4

Ménilmontant
Boubakar
8

Aux portes du désespoir.

Dans le quartier parisien du Ménilmontant des années 1920, deux sœurs dont les parents ont été tués par un fou furieux travaillent dans l'art floral en concevant des bouquets. Elles vont tomber...

le 25 avr. 2022

8 j'aime

1

Du même critique

Malmkrog
MisterLynch
4

Que tout ceci est époustouflifiant !

Au démarrage de cette critique, je suis à la fois confus et déçu. Confus parce qu'il m'est bien difficile de mettre des mots sur ma pensée et déçu parce que Cristi Puiu était considérablement remonté...

le 25 juil. 2021

4 j'aime

9

Ménilmontant
MisterLynch
9

Là où tu iras, il n'y a pas d'espoir

Ce n'est que tardivement que j'ai connu Dimitri Kirsanoff dont j'eus le plaisir de faire un démarrage en fanfare dans sa filmographie. Ménilmontant c'est avant tout une entrée en matière d'une...

le 5 mars 2021

4 j'aime

1

From What Is Before
MisterLynch
8

Un léger bruit dans la forêt

Mes débuts avec Lav Diaz ne s'étaient pas du tout déroulés comme je le pensais. Avec "Norte, la fin de l'histoire", je sortais épuisé et déçu de cette séance qui n'eut pour moi qu'un intérêt proche...

le 19 févr. 2021

4 j'aime