Que tout ceci est époustouflifiant !

Au démarrage de cette critique, je suis à la fois confus et déçu. Confus parce qu'il m'est bien difficile de mettre des mots sur ma pensée et déçu parce que Cristi Puiu était considérablement remonté dans mon estime après un excellent La Mort de Dante Lazarescu qui suivait un somnolent Aurora.


En fait, j'ai beaucoup de choses à reprocher à ce Malmkrog. Ce n'est pas tant le concept de longues discussions et débats d'idées car justement j'adore ce principe et c'est en partie mon réalisateur fétiche actuel Nuri Bilge Ceylan qui en est l'instigateur. Non, ce que je reproche véritablement à Malmkrog est son hermétisme assez impressionnant dans le mauvais sens du terme. Je ne partirai pas dans de longues facondes sur la rivalité entre divertissement et cinéma intellectuel, là n'est pas la question. Je préfère amplement le deuxième choix mais ça n'est que pure opinion personnelle qui ne prévaut pas. La cinéphilie c'est avant tout l'ouverture d'esprit, l'envie de naviguer sur des eaux différentes, des styles singuliers, des expériences parfois subliminales. Dans ces conditions, le cinéaste doit susciter une attraction, une envie de découverte. En prônant une construction chiante, il n'attirera personne, pas même les chevronnés. Et Malmkrog en a justement fait son fer de lance. Les 20 premières minutes sont un examen éliminatoire afin d'éliminer les brebis galeuses qui n'arriveraient pas à suivre la cadence des dialogues.


Et justement, c'est là que ça se corse. Cristi Puiu ne tient pas à rendre son film accessible verbalement. Je ne parle pas de se niveler à un niveau de français digne d'une Aya Nakamura mais pour peu que vous ne soyez pas initié à la philosophie, poursuivre la séance sera une calamité. Hors quand tout le film repose justement sur ces débats de Lumière qui en sont l'essence même et qui peuvent vite partir dans des tournures de phrases difficilement compréhensibles, là il y a une fracture. Compte tenu du débit de paroles, nous n'avons parfois pas le temps de bien saisir la pensée du sujet avant qu'il n'en développe une nouvelle qui peut, là aussi, être racontée avec grande complexité. Ca crée une réaction en chaîne et il est donc tout à fait possible de perdre le fil de ses idées avant de se rattraper aux branches d'une idée mieux construite verbalement. Et Dieu sait qu'elles peuvent être tortueuses entre théologie, politique pure, scolastique et j'en passe.


Ce ressenti, je ne l'ai pas devant un Andreï Tarkovski, un Ingmar Bergman ou un Béla Tarr car ces démiurges avaient pour but de privilégier la compréhension. Même quand ça partait dans des domaines que peu de gens ont exploré (car oui tout le monde ne voue pas une passion démesurée à la philo, ce qui n'est pas une tare), la lecture n'en était pas moins palpitante. On apprenait des trucs. Ils confirmaient que cinéma et apprentissage métaphysique et philosophique allaient de pair. Hors ici, il n'y a que peu de choses qui nous tiennent en laisse. A plusieurs reprises, on devrait presque mettre sur pause pour ouvrir un dictionnaire. Dans un livre, le problème ne se poserait pas mais dans le cinéma, ça nous sort de l'histoire, ça frustre et pour certains spectateurs, un rejet se fera ressentir. Malmkrog me donne, et c'est malheureux à dire car je déteste écrire ça, l'impression d'avoir face à moi un groupuscule de bobos se touchant sur leurs connaissances de philo qu'ils vomissent avec une pédanterie record. Il n'y a pas plus risible que de partir dans des phrases imbitables pour exprimer des croyances d'une simplicité évidente. Je repense à ce chapitre sur l'identité européenne qui en est le plus représentatif. Ecrire dans un français soutenu est une chose, en comprendre le sens en est une autre. Je n'ai aucune hostilité, bien au contraire, envers l'apprentissage de notre langue d'une richesse insoupçonnée mais il faut le faire avec une certaine pédagogie.


C'est dommage car Puiu utilise à merveille les espaces, son concept de théâtre filmé dans un manoir flamboyant de beauté et de travaux admirables sur les éclairages est génial. Malheureusement, la base en est fragile. Certains seront agacés, d'autres accaparés par une prégnante lassitude (ce qui fut mon cas), d'autres fascinés. Malmkrog suscitera irrémédiablement le débat pour peu que l'on puisse s'exprimer avec cohérence.

MisterLynch
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le 25 juil. 2021

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MisterLynch

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