Jean-Luc Godard a une filmographie vaste et surtout très particulière. Certains n'accrocheront pas vraiment à son travail, voire pas du tout. D'autres aimeront des films en particuliers, mais pas forcément les mêmes selon les personnes. Ce qui en fait un cinéaste intéressant et qui ne laisse pas indifférent.
En 1963, il signe un de ses films les plus connus, un des rares à avoir passé le million d'entrées en France (1,5 million plus précisément). C'est également un film plutôt cher au regard de ses autres films (on parle d'un budget qui dépassait les 5 millions de francs). Tout débute lorsque le producteur Carlo Ponti (à qui l'on doit La Strada, Blow up ou Affreux, sales et méchants) vient voir Godard pour une adaptation du roman d'Alberto Moravia (1954). Godard envisage Kim Novak et Frank Sinatra,Ponti Sophia Loren et Marcelo Mastroianni, ce seront finalement Brigitte Bardot et Michel Piccoli.
L'américain Joseph E Levine (l'homme derrière le montage américain de Godzilla) se rajoute à la fête et se révèle mécontent du premier montage. Il veut littéralement plus de cul et notamment celui de Bardot. Godard est obligé de faire des reshoots, sinon les américains ne payeront pas les derniers versements de la production du film. Il se trouve que sa manière de faire tient du plus majestueux des trolls. C'est ainsi que l'on s'est retrouvé avec la très belle scène multipliant les filtres, avec Bardot évoquant à Piccoli les parties de son corps et quelques plans par ci, par là. Une technique du troll qu'il refera sur King Lear (1987), au point de faire enrager le père Golan à jamais.
Le Mépris parle d'ailleurs constamment de cinéma, puisqu'il suit un scénariste (ou du moins un écrivain faisant des extras au cinéma) sur le tournage d'un film de Fritz Lang qu'il est censé réécrire. Il est d'ailleurs ironique de retrouver une scène de projection où le producteur joué par Jack Palance s'énerve de ce qu'il voit. Les différents intervenants n'ont pas la même vision des choses, entraînant des divergences artistiques sur le fond même du film. Ainsi, l'histoire d'amour d'Ulysse et Pénélope change du tout au tout en fonction de l'évolution du couple Piccoli / Bardot, entraînant des changements radicaux dans le script (est-ce que Pénélope aime encore Ulysse ?). Plus le couple s'envenime, plus le scénariste va écrire de manière négative jusqu'au point de non-retour.
Le mari est en partie responsable de son malheur, multipliant les maladresses en pagaille, notamment de mettre sa femme dans la gueule du loup (coucou Jack). Dès lors, le regard noir de Brigitte Bardot devient aussi fracassant que le soleil de Capri et son personnage n'en devient que plus attachant. Piccoli et Bardot forment d'ailleurs un couple assez naturel et on ressent clairement leur complicité en début de film (là où tout va bien). Ce qui permet de rendre la chute d'autant plus triste, bien aidée par la musique de Georges Delerue. Godard a tendance à un peu trop l'utiliser, ce qui ne l'empêche pas d'être émouvante.
Le Mépris peut être vu comme un des films les plus accessibles de Godard, moins expérimental et un peu plus narratif (bien qu'il y a comme toujours beaucoup d'improvisation). En plus d'être un film sublime visuellement.