Peut-on se déclarer cinéphile sans vénérer Spielberg? la question est envisageable. C'est sans conteste un formidable entertainer qui sait fabriquer des histoires plaisantes et efficaces, et qui possède le don de toucher la frange la plus exigeante comme celle plus grand public des spectateurs. Son meilleur atout? allier la maîtrise de la réalisation pour allier petite et Grande Histoire. Ainsi son talent de conteur hors-pair peut-il s'ajuster au désir d'un cinéma mainstream qui ferait passer la convention la plus forte pour un grand auteur visionnaire et humaniste. Cela peut donner de franches réussites comme "Minority Report ou "Munich" (la vue de "La Liste de Schindler" ou de "La Couleur Pourpre" se fait toujours attendre) mais la tendance est malheureusement plus au formatage. "La Guerre des Mondes", "Il faut sauver le soldat Ryan (dans une moindre mesure, il est vrai) ou "Le Terminal" en attestent. Concilier l'efficience du spectacle à la rigueur des faits décrits demande une volonté de métronome que l'américain ne s'acharne pas à acquérir. Il prend prétexte des Grandes causes politiques de L'Amérique régalienne pour mieux instituer un souffle épique, quitte à endoctriner les personnes tout à leur joie de s’abîmer dans le plaisir d'un récit séduisant.


Son dernier "Pont des Espions" ne déroge une nouvelle fois pas à la règle. Tout le parcours de Tom Hanks cet avocat des affaires à l'existence tranquille est voué à un triomphe des valeurs morales états-uniennes. Bon père de famille, mari fidèle et homme du peuple il s'escrime à légitimer la défense de ce présupposé espion soviétique. Sa rhétorique et son bon sens vont à l'encontre d'une opinion publique véhémente au droit judiciaire, en pleine Guerre Froide. Ce qui paraissait au départ comme une vraie légitimation à une noblesse de l'équité pénale, théorisé brillamment par un discours sur la Constitution US comme garant indéfectible sur le droit du sol, ne sert finalement qu'à glorifier un peu plus le patriote sauveur du monde bipolaire tel qu'il était constitué à l'époque. Les négociations tripartite entre Etats-Unis, Berlin-Est occupée par L'URSS et Berlin-Ouest laissée à l’abandon (ou possiblement l'inverse la mémoire me jouant des tours) n'existent que pour prouver la Raison supérieure des officiels US et plus encore l’héroïsme du simple citoyen lambda.


L'équilibre qui tenait l’intérêt du film une large partie sur la réhabilitation de L'Homme de L'Est comme l'égal et valeureux soldat prêt à défendre sa nation coûte que coûte comme n'importe quel soldat atlantique se brise nettement au moment de l'échange d'espions. Il se fissurait déjà lorsque d'un cote le premier était traité (à peu près) correctement en prison tandis que l'autre était torturé mentalement et psychologiquement dans les geôles soviétiques. Une vision manichéenne qui se confirme donc avec l'avocat droit dans ses bottes et le regard plein d'empathie pour son accusé lors de sa libération définitive (l'homme debout lui répète sans cesse le libéré, qui plie mais ne rompt jamais). Le retour confirme définitivement cette sensation de manipulation éhontée, on y voit un Tom Hanks regardant par la fenêtre du train des enfants enjambant un mur et se souvenant avec effroi que le même geste entraînait la mort brutale en Allemagne. Le saut libérateur de la liberté comme contrepoint au saut dévastateur de ceux qui voulurent passer le Mur, le parallèle est au mieux maladroit au pire nauséabond. Et les retrouvailles finales du nouveau fiancé de L'Amérique ne valent guère mieux. Reste un traitement de la filature et des résonances actuelles sur la stratégie géopolitique d'alors que la mise en scène rend bien la tension nerveuse. Encore et toujours l'art et la manière d'une propagande qui ne dit pas son nom.

Créée

le 15 déc. 2015

Critique lue 288 fois

2 j'aime

Critique lue 288 fois

2

D'autres avis sur Le Pont des espions

Le Pont des espions
guyness
6

L'Allemagne déleste

Il y a en fait deux films dans ce Pont des Espions, et le plus réussi des deux n'est pas celui auquel on pourrait penser. La première partie est, de fait, bien mieux qu'une simple mise en place...

le 9 févr. 2016

58 j'aime

24

Le Pont des espions
Docteur_Jivago
7

Bons baisers de Berlin

C'est toujours un petit évènement la sortie d'un film de Steven Spielberg, malgré un enchaînement de déceptions depuis une petite dizaine d'années (La Guerre des Mondes est à mes yeux son dernier...

le 31 déc. 2015

55 j'aime

20

Le Pont des espions
blig
9

L'espion qui venait du Droit

Un nouveau film de Steven Spielberg est toujours un évènement en soi. Quand en plus il met en scène Tom Hanks au cœur de l’échiquier de la Guerre Froide sur un scénario des frères Coen, c'est Noël...

Par

le 4 déc. 2015

53 j'aime

12

Du même critique

Benedetta
Sabri_Collignon
4

Saint Paul miséricordieux

Verhoeven se voudrait insolent et grivois, il n'est au mieux que pathétique et périmé. Son mysticisme atteint des sommets de kitch dans une parabole pécheresse qui manque clairement de chaire (un...

le 13 juil. 2021

36 j'aime

Pas son genre
Sabri_Collignon
7

La Tristesse vient de la Solitude du Coeur!

Lucas Belvaux,réalisateur belge chevronné et engagé,est connu pour sa dénonciation farouche des inégalités sociales et sa propension à contester l'ordre établi.Ses chroniques dépeignent souvent des...

le 4 mai 2014

30 j'aime

14

Les Délices de Tokyo
Sabri_Collignon
8

Le Triomphe de la Modestie

Naomie Kawase est cette cinéaste japonaise déroutante qui déjoue volontairement depuis ses débuts la grammaire conventionnelle du 7ème art. Elle possède cet incroyable don d'injecter une matière...

le 11 août 2015

29 j'aime

5